64 tique qu'il observait attentivement. Il s'est dépeint · lui-même en cette fonction sous la figure de la « chouette de Minerve qui ne se, lève qu'à la tombée du jour » pour savoir qui est mort et qui vivant, en somme compter les coups. Le couple du philosophe et du tyran, que célébrait assez plaisamment A. Kojève dans son commentaire de Hegel, est tel que l'un agit tandis que l'autre justifie. C'est plus confortable que d'élever audacieusement, comme Platon, une revendication royale, quitte à se faire vendre comme esclave. Il y a loin, malgré tout, de l'Antiquité grecque à cette Allemagne spéculative. Il faut nous excuser auprès de K. Papaioannou de mêler ainsi notre méditation personnelle à la sienne, mais le dialogue n'est-il pas la forme la plus amicale du compte rendu ? Il est trop clair que le signataire de ces lignes admire plus Hegel qu'il ne l'aime, tandis que l'auteur de l'ouvrage dont il est question aime son philosophe autant qu'il l'admire. C'est donc l'occasion d'inviter le lecteur à prendre une connaissance plus directe de l'ouvrage. Il se convaincra alors aisément que c'est la simple équité qui nous fait dire qu'il s'agit d'un chef-d'œuvre d'initiation, que la compréhension interne, pas seulement superficielle ou technique, a guidé. Il aura la surprise de constater, grâce à un choix de textes composé de la façon la plus habile, que, contrairement à sa réputation, Hegel était capable de s'exprimer de la façon la plus claire. Même lorsqu'il devient plus difficile, sans toutefois s'alourdir de l'appareil technique, il sait trouver les accents lyriques les plus beaux : le « Vendredi saint spéculatif », les « fleurs noires », la «rose de la raison dans la croix du présent » attestent que le grand bonhomme Système dont Papaioannou fait la toilette n'avait pas tué en lui le poète. AIMÉ PATRI. Une nouvelle critique fasciste de la démocratie U GO SPIRITO : Critica della democrazia. Florence 1963, Sansoni, 220 pp. Nous avons hésité à employer l'adjectif« néofasciste » puisqu'on assure que M. Ugo Spirito n'appartient pas à ce mouvement politique. Seule la date de publication de son récent ouvrage, eu égard au contenu, nous l'inspire. Disciple direct de Giovanni Gentile qui fut, après s'être séparé spirituellement de Benedetto Croce, ministre de l'instruction publique sous Mussolini, M. Spirito, auteur de nombreux ouvrages de philosophie politique, a été sous le précédent régime un des principaux théoriciens du droit corporatif. Il fut même, comme il le rappelle, le théoricien de la « corporation propriétaire» (p. 32), et comme tel considéré comme Biblioteca Gino Bianco LE CON·TRAT SOCIAL l'un des «fascistes de gauche», un peu dans le sens où l'on parle aujourd'hui des «gaullistes de gauche». La «corporation propriétaire», n'est-ce pas en effet du« socialisme» et, même si les corporations sont en fait intégrées à l'Etat, du socialisme tout à fait conforme à la pratique reconnue aujourd'hui orthodoxe sous l'influence du bolchévisme-? Mais ce ne fut qu'une vue de l'esprit dont la considération rétrospective vaut sans doute à M. Spirito, qui résigna son mussolinisme vers 1943, la réputation de s'être rapproché du communisme. Nous n'en trouvons pas en tout cas la justification dans Critica della democrazia. Archéo ou néo-fasciste, il est indubitable que M. Spirito demeure spirituellement «fasciste», terme que nous entendons ici dans son sens historique et non dans l'acception confusément péjorative qui a souvent prévalu. Sans avoir aujourd'hui plutôt qu'hier le moindre goût pour ce qui s'est appelé au sens propre «fascisme», nous savons que l'équité oblige à ne point le confondre avec le nazisme. La désastreuse alliance militaire du fascisme et du nazisme que M. Spirito, si nos informations sont exactes, aurait réprouvée (il n'en parle pas dans son livre) conduisit le fascisme à sa perte. Mais la perte d'un régime n'est pas nécessairement celle d'une idéologie, ce nouveau livre le prouve. Et il n'y eut jamais une misère intellectuelle du fascisme comparable à celle du nazisme. La philosophie politique de M. Spirito continue à s'alimenter à des sources qui seront toujours respectables : Platon, Hegel et même Comte. Dans cette critique de la démocratie que l'on dirait volontiers «éternelle » ou sempiternelle, il y a même quelque chose qui évoque une certaine raideur logique maurrassienne. Entre universitaires de bonne compagnie; puisqu'il n'est plus question aujourd'hui d'huile de ricin ni de confino, nous pouvons discuter. L'argument traditionnel qu'invoque M. Spirito est celui de la compétence, que l'on a souvent entendu depuis Platon. Etant admis que la démocratie est le régime de la majorité, il est trop évident que les plus compétents ne sauraient être la majorité. La démocratie n'est donc pas le régime des meilleurs ni, corollairement, le meilleur -régime.. · Cela pourrait découler d'une analyse grammaticale des termes. M. Spirito reconnaît cependant qu'il faut justifier la popularité de la démocratie, laquelle ne saurait tirer son succès au moins moral et verbal de sa seule malfaisance : le fait est que les pauvres sont les plus nombreux. Il faudrait donc chercher du côté du paupérisme la raison du lien que M. Spirito estime indissoluble entre démocratisme et communisme, bien qu'il admette que ce ne soit pas la même chose. La moralité qu'il en tire est que pour triompher du démocratisme et du communisme, il faudrait l'extinction du paupérisme. Mais s'il est vrai que cette extinction s'accomplit graduellement de nos jours dans le monde occidental, des espoirs sont autorisés : on pourrait maintenant triompher de la démocratie sans douleur.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==