Le Contrat Social - anno VII - n. 1 - gen.-feb. 1963

auBLQUES LIVRES qui suscite aujourd'hui son indignation. Prenons l'exemple des camps soviétiques de travail forcé. M. de Villefosse savait parfaitement, dèsle commencement de son activité de « compagnon de route », que David Rousset avait signalé leur existence. A vrai dire, il n'avait pas lu Da- . vid Rousset. Il croyait même que l'ouvrage sur les camps soviétiques, c'était L'Univers concentrationnai.r..e En revanche il avait lu un pamphlet contre David Rousset, œuvre d'un certain M. Daix, « ce garçon au regard si franc, s'exprimant avec un tel ton de sincérité». Cela le convainc. Insuffisamment sans doute, puisqu'un peu plus tard, à Varsovie, il interroge un intellectuel polonais, qui bien entendu n'avait pas ouï parler de camps de concentration soviétiques. Ce M. Daix avait donc raison. Aujourd'hui M. de Villefosse a la conviction contraire. A-t-il donc étudié de près la documentation sur ce sujet ? C'est peu probable. En réalité il ne voulait pas croire aux camps, et maintenant il accepte d'y croire. Cette différence d'attitude ne correspond pas à une réflexion rationnelle, mais très exactement à une conversion. Avant et après la conversion, l'auteur connaît sensiblement les mêmes choses, il possède les mêmes éléments d'appréciation. Mais il ne les voit pas de la même façon. A-t-il maintenant étudié les procès de Moscou, la guerre civile d'Espagne ? Il ne semble pas. Ni sans doute aucun autre problème. Mais au lieu d'interroger des informateurs de rencontre à Varsovie ou à Moscou, il est allé s'entretenir avec Julian Gorlcin, avec Joseph Czapski. Au lieu de faire crédit au regard franc de M. Daix, il est frappé par la réserve d'Albert Camus, d'André Breton, du pasteur Roland de Pury, de François Mauriac. Bref, sur les problèmes controversés, M. de Villefosse n'a pas acquis de connaissances scientifiques : il a seulement fait confiance à d'autres témoins. On est donc conduit à se demander comment il en est venu à prêter attention à d'autres voix que celles qu'il avait d'abord écoutées. A l'origine de cette conversion, il y a des petits faits, qui font précisément la matière du livre dont nous parlons, et dont l'accumulation, un jour, a fait basculer l'auteur de l'autre côté, l'a acculé à se « couper de ce corps mystique » qu'étaient pour lui le système soviétique et ses partisans. Ces petits faits sont de deux ordres. Les uns semblent n'avoir joué qu'un rôle négligeable. Si des intellectuels communistes, dans une conférence de propagande, condamnent Proust au nom de la doctrine littéraire du parti, M. de Villefosse juge sévèrement cet « ostracisme borné qui indisposa beaucoup d'étudiants». A un congrès, une déléguée tchèque prononce une harangue « fanati~ue et presque haineuse », et l'auteur craint quelle ne donne, aux auditeurs occidentaux, une mauvaise opinion de la propagande soviétique. Ailleurs il écrit: « Les procédés Biblioteca Gino Bianco 61 de la V.O.K.S., s'ils réussissaient avec des naïfs ou des fanatiques, ne produiraient-ils pas un effet catastrophique sur des observateurs plus sérieux ? » Tous ces faits sont relatifs au visage que !'U.R.S.S. ou le parti communiste montrent à des gens du dehors, et l'on voit que chaque fois, l'auteur s'irrite contre le mauvais propagandiste, et ne. songe pas que le mauvais propagandiste est simplement un instrwnent du système, soit qu'il dise la vraie doctrine, soit qu'il camoufle ce qu'il lui est ordonné de camoufler. L'auteur, donc, s'irrite contre le propagandiste qui ne présente pas la cause telle qu'elle devrait être. Mais les faits qui concernent la cause elle-même sont infiniment plus troublants. L'auteur alors est gêné, il a honte. Honte pour la cause, d'avoir vu une femme en casquette circuler dans une usine le revolver sur la hanche. Honte, comme d'un « spectacle obscène», d'avoir vu des ouvriers surveillés par deux soldats baïonnette au canon. Honte d'avoir vu un mirador au bout d'une palissade. Honte d'avoir vu, à Wyasma, cet œuf qui donne son titre à l'ouvrage, cet œuf unique qu'une paysanne misérable essayait de vendre. Tout cela crée un malaise annonciateur de la conversion, qu'enfin déclenchera l'arrivée des chars soviétiques dans Budapest. On discerne ici que l'auteur, consciemment ou non, ne sent la cause en jeu que lorsque les humbles sont en cause. En 1950, Mauriac lui ayant écrit pour s'étonner de le voir marcher avec un parti totalitaire, il note: « Toujours cette éternelle question de la liberté. » Il semble bien qu'il voie dans l'exigence de la liberté une revendication d'intellectuel, et qui n'intéresse p~ les humbles. S'il parle de Rajk, c'est pour dire qu'il n'avait pas beaucoup réfléchi à son cas, et que d'ailleurs sa culpabilité lui paraissait « plausible ». Là encore, il s'agit d'un dirigeant, c'est-à-dire d'un être exclu par nature du « corps mystique » · et de cette communion universelle qui ne s'étend qu'aux hwnbles. « Rompre le pain avec eux », écrit M. de-Villefosse, en soulignant le dernier mot. On aperçoit maintenant les ressorts de la double conversion qui a d'abord fait de lui un « compagnon de route», puis l'a conduit à brûler ce qu'il avait adoré. A aucun moment le problème politique n'est envisagé par lui en tant que tel. Il va d'abord vers les masses souffrantes, et c'est réellement l'œuf de Wyasma qui l'éclaire, en lui donnant à penser que les masses n'ont pas cessé de souffrir. Celles-ci sont la matière de la politique, dont l'objet propre est de leur assurer une juste part des biens de ce monde. Et peu importent les formes pourvu que ce but soit atteint : la liberté, la justice peuvent n'être que des formes fallacieuses qui dissimulent une indifférence fondamentale aux fins propres de la politique. En fait, c'est là cc qui donna tant de retentissement à l'affaire de Budapest. Beaucoup

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