Le Contrat Social - anno VII - n. 1 - gen.-feb. 1963

60 Un compagnon de route ( Louis DE VILLEFOSSE: L'Œuf de Wyasma, récit. Paris 1962, Julliard, éd., 242 pp. UNE FRANGE de sympathisants, on le sait, environne le parti communiste. L'accoutumance empêche de s'en étonner, et pourtant la chose devrait paraître étrange. A tout le moins méritet-elle réflexion, et si possible explication. En effet, lorsqu'on voit un organisme, depuis le jour de sa naissance et au cours de toute son existence, imposer avec une rigueur implacable, inhumaine, une orthodoxie minutieuse, on peut comprendre que des gens soient tentés par cette orthodoxie, y adhèrent, et deviennent les soldats - les militants - de la foi nouvelle. On peut concevoir aussi que, catéchumènes, ceux qui aspirent à prendre place dans la milice sacrée n'y soient intégrés qu'après quelque délai: avant d'admettre en son sein celui qui manifeste le désir d'être, pour les fidèles, nn frère ou nn camarade, l'Eglise impose nn stage d'initiation et de probation. Mais• que quelques-nns fassent nn travail de militants, qu'ils se tiennent en liaison constante avec le parti communiste, qu'ils s'alarment à l'idée de déplaire au point d'être plus sourcilleux que les membres du' Parti, et que cependant ils demeurent délibérément sur le seuil, la chose est singulière. Sans doute en est-il parmi eux qui, plutôt que des compagnons de route, sont à proprement parler des crypto-communistes. Ce sont gens qui, au lieu de se sentir attirés vers le parti communiste (comme les compagnons de route), semblent, à l'inverse, être ses émissaires dans les organisations d'alentour. Quant aux compagnons de route, s'il en est dont l'intérêt explique assez la conduite, d'autres, indubitablement, sont désintéressés, et font avec joie des sacrifices à la cause. Mais de quelle cause s'agit-il ? Voilà le point délicat, c'est ici que l'on entre q.ans l'illogisme. Si les compagnons de route s'attachent au parti communiste, c'est qu'ils pensent avoir quelque chose de commnn avec lui. S'ils n'y entrent pas, c'est que, sur divers points, ils ne se sentent pas en accord avec lui. A tout le moins, ils veulent conserver une certaine marge de liberté. Mais il est absurde d'aider nn parti d'nn dogmatisme pointilleux, et qui, s'il triomphait, vous contraindrait au silence ou vous ferait expier vos déviations. Cette attitude est si illogique que le Parti lui-même ne la conçoit guère. Lorsque M. de Villefosse dit à M. Louis Aragon qu'il a rompu ses relations avec la droite, celui-ci lui répond : « C'est bien ce que je vous reproche ! » M. Louis Aragon, qui n'a rien d'nn naïf, a le sentiment qu'nn vrai compagnon de route ne sert pas à grand-chose: il voudrait n'avoir près de lui que des crypto-communistes captant astucieusement les esprits dans leur milieu d'origine. Mais M. de Villefosse lui-même, comment considère-t-il aujourd'hui son passé de compaBiblioteca Gino Bianco LB CONTRAT SOCIAL gnon de route ? Eh bien, il pense lui aussi qu'il faut une surprenante dose de naïveté pour avoir cru ce qu'il a cru et mené la vie qu'il a menée. Son livre n'a rien d'une autocritique. L'autocritique, en effet, est un exercice qui consiste à examiner son passé à la lumière de la pure doctrine, soit pour se donner tort (lorsqu'on veut rentrer en grâce), soit pour se donner raison (lorsque, se faisant exclure, on glorifie son hérésie, et qu'on dénonce les erreurs de l'orthodoxie officielle). M. de Villefosse nous donne un récit tout simple, où les erreurs apparaissent de façon assez évidente pour rendre inutile un commentaire philosophique ou théologique. D'ailleurs, il les souligne, écrivant par exemple : .:Pour ce qui me concerne, je ne vanterai pas mon esprit critique d'alors ni ma clairvoyance. » Et ailleurs : « Je ressens comme une erreur humiliante d'avoir été soutenir (...) que le régime concentrationnaire dans les pays soviétiques était une pure invention. » Ou encore : « Je ne peux pas me vanter d'avoir mis de la précipitation à défendre au C.N.E. ce qui était juste et vrai. » Et il parle de « l'arriéré de sottise, de crainte, d'indécision, qu'il avait à liquider. A la vérité, l'auteur ne dit précisément .ni comment il est devenu « compagnon de route » ni comment il a cessé de l'être. Il se borne à livrer cette confession qu'aspirent à faire ceux qui se sentent coupables, ce récit suivi où les fautes s'insèrent si naturellement qu'elles cessent d'apparaître comme telles, et semblent nécessitées par le passé de l'a~teur et par les circonstances. Et fort judicieusement, il commence avec les souvenirs de famille : le grand-père officier de marine, le grand-oncle entré le premier à Rome pour rétablir le pape sur son trône, les interminables chapelets à Saint-Thomas-d'Aquin et à la chapelle miraculeuse de la rue du Bac, le collège Stanislas, la carrière d'officier de marine, l'Indochine, la Chine: tout ce qu'il faut pour voir la vie en images d'Epinal. Qu'il perde la foi, qu'il rencontre la petite-fille d'un communard, et voilà le monde qui se met tout doucement à basculer. Au bout de quelques années il quitte l'uniforme de la marine, et devient un .« combattant de la paix». Et il est sensible aujourd'hui au caractère religieux de cette adhésion. C'est en effet ce qui apparaît dans tous les épisodes de cette confession : il était avant tout un croyant attaché à sa foi. De même qu'il lisait dans sa jeunesse la Revue des objections du chanoine Coubé, il se mit à lire « attentivement, fidèlement » Libération, Action, les Lettres françaises, refusant de prendre connaissance de rien de ce que le clergé commnniste mettait à !'Index. « L'hommé communiste » était « l'homme de vérité » et tout autre homme était un calomniateur stipendié. On pensera que M. de Villefosse n'avait ainsi aucune chance de se détromper, et l'on se demandera ce qui a pu lui dessiller les yeux. Mais il n'est nullement certain qu'il n'ait rien su de ce

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