LA TRAHISON DES CLERCS entourage direct. Mais ces hommes l'aiment et croient en lui, et ont besoin de lui, et forment un groupement qui l'épaule et le fait ressortir. Il se dresse de toute sa hauteur à la fois sur l'Europe et sur l'Asie, à la fois sur aujourd'hui et sur demain. Henri Barbusse, Etudes soviétiques, avril 1953. Barbusse disait une fois à Staline : « Savez-vous qu'on vous considère en France comme un tyran qui n'~n fait qu'à sa tête, et un tyran sanguinaire par-dessus le marché ? » Il s'est rejeté en arrière sur sa chaise, en proie à son gros et bon rire d'ouvrier. Le même Barbusse a justement écrit quelque part: « Si on met du temps à comprendre ces gens-là, ce n'est pas à cause de leur complication, mais à cause de leur simplicité. » ...Lorsque j'ai entrepris l'étude systématique de la vie, de l'action et des ouvrages de Staline, j'ai été frappé de leur transparence, de leur limpidité, de leur clarté. C'est au point que si Staline était français, tous nos petits chroniqueurs ne manqueraient jamais d'employer à son sujet l'expression « logique cartésienne ». Il n'y a personne de plus « cartésien » que Staline. ...Non pas que Staline, comme tant de petits freluquets veulent nous le faire croire, vive dans les ombres du Kremlin. Staline vit en pleine lumière, et rien de ce qu'il fait, aucun de ses gestes ne reste caché au peuple soviétique. ...Kirov était sans doute un des plus chers amis et un des collaborateurs les plus étroits de Staline. Kirov, dont le nom - pas plus que celui de Staline dix ans auparavant - n'avaient filtré à l'étranger, avait été un des maîtres ouvriers de la Révolution, un des chefs les plus actifs de la lutte militaire, au cours de la guerre civile et des campagnes contre l'intervention étrangère. ...En frappant Kirov, l'un des chefs les plus brillants et les plus aimés du parti bolchévique, les assassins savaient qu'ils frappaient Staline et l'U.R.S.S. tout près de leur cœur même ; en tout cas, ils frappaient un des héritiers les plus proches de la pensée de Staline. Depuis l'attentat contre Lénine, quinze ans auparavant, c'était le premier attentat réussi contre un dirigeant soviétique. Ce coup de revolver montrait l'ennemi aux aguets et plus virulent que jamais. Il fracassa le jeune bonheur naissant au pays soviétique. Ces circonstances aident à comprendre les événements des années qui ont suivi et qui ont conduit aux fameux procès, sur lesquels on a tant écrit et on continue à tant écrire. Je puis dire, pour en avoir été le témoin, que ce meurtre fut, pour beaucoup de Russes, une catastrophe perBiblioteca Gino Bianco 45 sonnelle et un désespoir intime. Au surplus, il fut le point de départ de ces longues enquêtes judiciaires dont le résultat a été, sans doute, de sauver !'U.R.S.S., et, par contrecoup, nousmêmes et le monde, puisqu'elles ont mis la justice sur les traces d'une conspiration qui englobait jusqu'à un des chefs principaux de l'Armée rouge, le maréchal Toukhatchevski. De ces choses, il n'y a rien de plus à dire que ce qu'en a écrit, pendant la guerre, le journaliste américain W. Duranty, et que je vais vous citer : « Je ne puis oublier ce que me dit récemment un Français haut placé et attristé, alors que nous discutions de l'épuration. "Oui, dit-il, cela dut être terrible, semblable à une folie. Mais n'oubliez pas qu'en Russie ils ont fusillé les gens de la cinquième colonne, tandis qu'en France nous en avons fait des ministres. Et comparez les résultats ! " » Ces explications étaient nécessaires pour faire comprendre la transformation profonde dont témoignait le visage de Staline lorsque je l'ai revu pour la troisième fois. C'était de la fenêtre de ma chambre, à l'hôtel Métropole, sur le passage du convoi funèbre qui conduisait le corps de Kirov de la gare jusqu'au palais des Syndicats où il devait être exposé. Staline conduisait le deuil. Léon Moussinac et moi, qui étions côte à côte, fûmes frappés de la douleur empreinte sur ses traits. Non seulement un de ses plus chers amis lui était ravi, mais encore il sentait son œuvre, et !'U.R.S.S., et la paix, et l'avenir, menacés. Le surlendemain, sur la place Rouge, j'étais à quatre pas de lui lorsqu'il passa, portant sur son épaule, avec trois autres dirigeants, l'urne funéraire qui allait être scellée dans le mur du Kremlin, non loin du mausolée de Lénine. Je n'oublierai jamais l'image de rigide chagrin qu'exprimait le visage de cet homme, faussement réputé impassible. ...Un petit détail: le lieutenant-colonel Pouyade fumait et, dans l'animation de la conversation, un peu de la cendre de sa cigarette s'était répandue, sans qu'il le remarquât, sur son uniforme. Staline, debout près de lui, et le regardant en souriant, époussetait tout doucement cette cendre, d'un geste plein d'affection et de délicatesse. En même temps, il ajouta, sa figure devenant plus sérieuse : « Entre le combattant français et le combattant soviétique, il ne pourra jamais y avoir aucun malentendu. Ceux qui gâtent tout, ce sont les diplomates. Avec ceux-là rien à faire ! Il faudrait les supprimer. Tenez, en voilà un qui entre : c'est Molotov ; c'est encore le moins mauvais de tous, on le fusillera le dernier ! » ...Le général Petit ne m'en voudra pas si je rapporte une impression qu'il traduisait, entre bien d'autres, avec étonnement, en disant : " A côté de l'intelligence, de la précision, de la rapidité d'esprit, de la puissance d'information, quelle surprise de trouver un homme si simple,
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