Le Contrat Social - anno VII - n. 1 - gen.-feb. 1963

38 la répression comme à la guerre, surtout si ce sont d'autres qui en souffrent. ~; Il importe pourtant que les travailleurs de tous les pays sachent la vérité sur le régime intérieur de !'U.R.S.S. et prennent conscience du malheur qui pèse sur leurs frères « soviétiques » et les écrase. A défaut de la plus élémentaire solidarité humaine, pour ne pas évoquer une imaginaire « solidarité de classe », leur strict intérêt bien compris serait au moins de se tenir sur leurs gardes. En France, hors de certaine presse qui a longte1nps donné le mauvais exemple de l'information tendancieuse sur !'U.R.S.S. et qui, dans son ensemble, depuis deux ou trois ans, pour des raisons de politique extérieure, déforme aujourd'hui en sens contraire, quelques publications seulement (du côté socialiste, syndicaliste ou communiste) ont donné aux travailleurs des renseignements précis et sérieux sur la répression et la terreur exercées par Staline contre les ouvriers, les paysans, les intellectuels, contre tous les Russes (et non-Russes) coupables ou simplement suspects de penser. Le Populaire lui-même, organe du parti socialiste, a cessé ou presque de publier des informations sur le sort des militants social-démocrates de l'U.R.S.S. emprisonnés ou déportés sans jugement, attitude inexplicable, à moins que l'entente politique du Front populaire ne prime la traditionnelle solidarité socialiste internationale. Les rares publications d'extrême gauche qui aient divulgué la vérité ou s'y efforcent, dans la mesure où des renseignements valables leur parviennent à travers les multiples censures de Staline, sont malheureusement de faible tirage comme le Bulletin communiste ( qui a cessé de paraître), la Révolution prolétarienne (revue syndicaliste), le Courrier socialiste ( organe socialdémocrate en langue russe), le Combat marxiste (revue socialiste), la Critique sociale (revue des idées et des livres), le Bulletin de l'Opposition (en russe, publié par Trotski), le Libertaire, le Conibat _ syndt'caliste, l' En-Dehors et quelques autres, plus éphémères ou confidentielles. Le grand public est donc encore mal informé ou ne l'est pas du tout. Aussi faut-il attirer son attention et, si possible, secouer sa torpeur en lui mettant sous les yeux, sous une forme accessible, les faits et les chiffres impressionnants relevés par diverses personnes tout à fait dignes de foi et bien au courant. La valeur de ces données fragmentaires est indiscutable et n'a jamais été discutée, pas plus que celles des publications d'avant-garde cidessus désignées. La presse dite communiste n'a jamais pu les réfuter et n'a même pas osé les contester. Le silence des agents de Staline en France a toute la valeur d'une confirmation implicite. Raison de plus pour diffuser largement ce Bilan de la terreur en U.R.S.S. · BibliotecaGino Bianco DIX ANS APRÈS STALINE Citons d'abord un premier texte de B. Souvarine, écrivain communiste indépendant et spécialisé en matière de problèmes russes. Questionné en 1934 par des personnalités du parti socialiste qui semblaient ignorer tout des persécutions dont leurs camarades de !'U.R.S.S. sont victimes, B. Souvarine leur remit une brève notice énumérative que voici : LES PERSÉCUTIONS EN U.R.S.S.· Il y a en U.R.S.S. plusieurs millions de déportés ou de bannis de toutes catégories et des centaines de milliers de détenus politiques, dans les prisons, les isolateurs et les camps de concentration. Ce sont la plupart d'obscurs travailleurs, ouvriers ou paysans, sans notoriété ni soutien. A de rares exceptions près, ils ont été condamnés par voie administrative, c'est-à-dire par une procédure sommaire et secrète sans instruction contradictoire, sans procès, sans témoins, sans défense. A l'expiration de leur peine, le Guépéou la renouvelle automatiquement si tel est son bon plaisir. Parmi les victimes de cet arbitraire illimité figurent aussi les représentants de toutes les nuances de l'opinion révolutionnaire non conformiste, même passifs ou retirés de toute action sociale. Il s'y trouve également des suspects de toutes sortes ou prétendus tels, sous diverses étiquettes politiques ou religieuses. Un essai d'énumération des tendances frappées donnerait à première vue le résultat suivant : 1. Des communistes hétérodoxes qui n'appartiennent à aucune fraction comme D. Riazanov, fondateur de l'Académie communiste et de l'Institut Marx-Engels ; comme Victor Serge, écrivain communiste, etc. (Rappelons que la presse soviétique monopolisée ne donne aucune publicité à cette répression, que l'on ignore à moins d'un hasard, de relations personnelles, liens de parenté, etc.) ; 2. Les communistes ayant appartenu aux groupes dénommés « Vérité ouvrière », « Groupe ouvrier » et « Opposition ouvrière » et prolétaires pour la plupart ; 3. Les communistes de la tendance dite de Sapronov-Smirnov, y compris leurs deux leaders, ancienne fraction du « Centralisme démocratique » ou « détsistes » ; 4. Les communistes de gauche ou « trotskistes » ; d'après leur chef de file, leur nombre s'est élevé à quelque 5.000 individus; 5. Un groupe de communistes géorgiens taxés de .« déviation nationale » et apparentés aux précédents; 6. Divers communistes de droite, ancienne fraction Rykov-Boukharine-Tomski, comme Rioutine, Sliepkov, Esmondt, etc. ; 7. Des socialistes hors parti, comme Bazarov, traducteur du Capital de Marx, longtemps collaborateur de Maxime Gorki ; 8. Les socialistes menchéviks, parmi lesquels le vieil écrivain Tchérévanine, âgé de 68 ans; Koutchine, condamné à 10 ans de détention pour avoir assisté à une réunion de l'Internationale socialiste; Iéjov, frère de Martov~ Eva Broïdo, Ber, Braunstein, etc.; 9. Les socialistes-révolutionnaires de gauche, anciens alliés des bolchéviks lors du coup d'Etat d'octobre ; parmi eux Marie Spiridonova, Irène Kakhovskaïa, Kamkov, Maïorov, Troutovski, etc.; 10. Les socialistes-révolutionnaires du centre et de droite, y compris les condamnés du procès de 1922

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