Le Contrat Social - anno VII - n. 1 - gen.-feb. 1963

K. PAPAIOANNOU teires ne pouvait pas résoudre le problème : si, par exemple, en 1922, les paysans sans terre ne représentaient plus que 4,1 % des cultivateurs, en revanche, 34 % des fermiers n'avaient pas de bêtes de trait. Peu à peu, une couche de paysans aisés s'élevait au-dessus des paysans pauvres et moyens. Aux yeux des bolchéviks (trotskistes ou staJioiens, peu importe), ces dénommés koulaks faisaient figure de « capitalistes ». En réalité, ainsi que Zinoviev a eu le courage de le reconnaître en 1924, « on qualifiait de koulak tout paysan qui avait de quoi manger » (S., p. 348). Un coup d'œil sur les statistiques de l'impôt agricole suffit à ramener à ses véritables proportions le fantastique « capitalisme » rural qui devait hanter les cauchemars de ce même Zinoviev deux ans plus tard. En 1925-26, lorsque le problème des koulaks devient le pivot des discussions entre la « gauche » et la « droite » du Parti, on classa comme paysans riches tous ceux qui gagnaient plus de 200 roubles (100 dollars) par an. Environ 3,5 millions de personnes, 14 % des paysans, appartenaient à cette catégorie qui était la plus durement frappée par l'impôt sur le revenu (20-21 °/4). Ces 14 °/4 des cultivateurs produisaient les 24 % du revenu agricole total et fournissaient les 47 % des recettes fiscales que l'Etat tirait de la campagne 10 • En 1926-27, alors que la question des koulaks était en train de devenir le problème vital du régime, la stratification de la population rurale de !'U.R.S.S. (112,7 millions de personnes sur une population totale de 148,1 millions) se présentait comme suit 11 : Nombre de fermes individuelles (en milliers) Prolétariat 2.560 a) employés b) ouvriers Indépendants 20.213 a) pauvres 5 .03 7 b) moyens 14.280 c) koulaks 896 Nombre Pourcentage Pourcentage de des de la personnes ménages population (en milliers) rurale 4.713 11,2 4,2 339 0,5 0,3 4.374 10,7 3,9 108.010 88,8 95,8 21.106 22,1 18,7 81.045 62,8 71,9 5.859 3,9 5,2 Selon le critère officiel, le groupe des koulaks (appelés aussi « producteurs semi-capitalistes » ou « entr~reneurs », ce qui dans la plupart des cas était d une sinistre ironie) englobait d'une part tous ceux qui avaient un équipement agricole d'une valeur de plus de 800 roubles Ç400 dollars) et employaient des ouvriers salaries durant plus de 75 jours par an, d'autre part, tous ceux qui avaient un équipement agricole d'une valeur de plus de 1.600 roubles et employaient des ouvriers salariés pendant Elus de 50 jours par an. Critères qui sont loin d indiquer des richesses excessives. A la même époque, on estimait à 10. Cf. H. J. Seraphim, art. BolschtfJismus dans Hwb. d. Staatnoi11nuchaften, 49 ~d. Erglinzungsband, p. 232 b. 11. Cf. Naum J asny : TIN Socialia,d Agricultur, of tlu USSR, 1949, pp. 710 et 162. Biblioteca Gino Bianco 15 1. 500 dollars (3.000 roubles) les moyens de pro,. duction nécessaires à l'entretien d'une très petite ferme américaine. Le typical Iowa /armer de 1946 devait posséder environ 60 ha valant au moins 16.000 dollars et investir quelque 33.000 dollars... Il est évident que ce qu'on appelait une « entreprise semi-capitaliste » koulak, avec ses 10 ha de terres ensemencées et son « capital» de 1.000-1.500 dollars, n'était en réalité qu'une exploitation familiale moyenne. De plus, une tyrannie fiscale intolérable s'abattit sur ces paysans relativement aisés. En 1926-27, les koulaks (4 % de la population rurale, 15 % de la production globale des céréales) supportaient 25,9 % de l'impôt agraire : leur part monte à 36,1 % en 1928-29 12 , tandis que le produit de l'impôt augmentait d'un quart (B., p. 95). Dans aucun pays au monde ces paysans un peu moins misérables que les autres ne sauraient décemment constituer un «problème». Il n'en allait pourtant pas ainsi en U.R.S.S., où la mythologie «~e clas~e » obscur~issait dès le dépa,rt. la perception meme du reel. En 1921, Lerune évoquait le spectre des « millions et des millions de petits patrons campagnards » (II, 713) et la «grisaille quotidienne de l'économie» (II, 899) pour justifier la dictature qu'il voulait renforcer à l'intérieur et à l'extérieur du parti unique. Pour « résister » à cet « élément petit-bourgeois qui nous entoure comme l'air et pénètre fortement les rangs du prolétariat », pour combattre cet « ennemi insaisissable », Lénine ne connaissait qu'un seul moyen : « le parti doit faire régner dans son sein une centralisation et une discipline rigoureuses » (II, 713). C'est au nom de cette alchimie sociologique (dans laquelle Marx ne manquerait pas de voir une forme pathologique de l' «illusion» et de la « superstition politique ») que les groupes de !'Opposition ouvrière et du Centralisme démocratique furent dissous et déclarés illégaux : à partir de cette date, les fractions rivales dans le Parti ne représentaient plus que les diverses «tendances d'un seul et même groupe d'anciens militariseurs de l'économie» que dénonçaient les« centralistes démocratiques » de 1920-21 (cf. S., p. 254). Pour les épigones, le spectre des « entrepreneurs semi-capitalistes » était surtout destiné à donner une apparence idéologique aux querelles personnelles et un air de respectabilité marxiste aux problèmes économiquement insolubles que créait la dictature. En effet, pendant toutes ces années troubles où les meilleures têtes du bolchévisme s'accusaient mutuellement de déviation koulakophile et de mégalomanie industrialiste, tandis que les cohortes des militants conjuguaient à satiété les verbes surestimer (le koulak) ou sous-estimer (le seredniak: paysan moyen), le vocabulaire politique se vidait de sa substance. Gauche et droite avaient perdu leur sens tradi12. Alexander Baykov : Th, DllfJ1lopment of tlu Sovùt Economie Systnn, 1950, p. 134. Titre abr~~ : B. ,

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