12 nément et massivement » (II, 693). Cette idée, ·qui constitua un principe intangible du bolchévisme, est manifestement ab~urde aussi bien sous sa forme générale que dans le cas concret de la Russie de la nep. Si la petite production « engendre »spontanément, constamment et massivement le capitalisme, celui-ci aurait vu le jour 4.000 ans plus tôt, dans l'empire de Hammourabi. De toute manière, en U.R.S.S., où le~capitalisme d'Etat avait monopolisé la grande industrie, les banques, les transports et le commerce extérieur, et disposait par surcroît de tous les moyens de pression extra-économiques, fiscaux et policiers, les producteurs indépendants (paysans et artisans) étaient par définition absolument incapables d' « engendrer le capitalisme)). Le prétendu « flot montant du capitalisme )> que Trotski 8 , et plus tard Staline, dénonçaient dans les campagnes, n'était qu'un euphémisme qui désignait une couche de paysans aisés (en réalité, bien misérables par rapport aux fermiers moyens des pays évolués) dont le « capital » se réduisait à quelques vaches et à quelques chevaux... L'idée erronée de Lénine, suivant laquelle « le paysannat donne ·constamment naissance à la bourgeoisie » (II; 778), avait cependant une fonction « idéologique » de premier ordre dans la pédagogie totalitaire : en baptisant « petitsbourgeois » et « capitalistes » ces millions de moujiks misérables, Lénine et Trotski accoutumaient les ouvriers et les intellectuels marxistes à l'idée de l'emploi de la force contre l'immense majorité des paysans et préparaient idéologiquement la cc solution finale» des années 30... Grâce à ces raisonnements pseudo-marxistes, la liquidation des koulaks devint pour la gauche du monde entier une chose allant de soi - comme l'extermination des juifs le fut pour les nazis. La Némésis du sous-développement QUOI QU'IL EN SOIT, le problème que posaient ces millions de nouveaux fermiers ne concernait pas la « socialisation» de la terre, mais tout simplement le ravitaillement des villes, et ce problème, primaire et élémentaire s'il en fut, était absolument extérieur à la question du cc socialisme» ou du «capitalisme». Avant 1914, 130.000 grands propriétaires fonciers ( 12 % de la production agricole totale) vendaient au marché les 47 % de leur récolte et fournissaient les 21,6 % de la masse marchande des céréales. Les paysans cossus -(38 % de la production totale) vendaient les 34 % de leur récolte et détenaient entre leurs mains la moitié du blé destiné au commerce. Le ravitaillement des villes et les exportations de ·blé étaient donc largement tributaires de l' exploitation « féodale » des paysans auxquels n'était laissé que le strict minimum. La révolution, le partage des terres et le nivellement des campagnes 8. Trotski : La Révolution trahie, 1937, p. 38. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL firent disparaître cette situation typiquement précapitaliste. Mais, avec les grands propriétaires et les koulaks, disparurent également les principaux fournisseurs du marché des céréales. Les cc difficultés insurmontables » dont parle Rosa Luxembourg ne concernaient donc pas le« socialisme», mais le ravitaillement des villes et l'exportation, c'est-à-dire une des principales ressources de l'Etat. · Seules une augmentation substantielle de la production agricole et une intensification des échanges entre les villes et les campagnes pouvaient compenser l'accroissement de la consommation paysanne qui devait fatalement accompagner la généralisation de la petite et moyenne exploitation rurale. En réalité, la chute de la production durant la guerre civile prit les proportions d'un désastre: en 1920, la production industrielle n'atteignait que le cinquième de la normale et la production de blé avait diminué de moitié. Les produits industriels ayant disparu du marché villageois, les réquisitions devinrent l'unique moyen d'assurer le ravitaillement des villes et de l'armée. Ce cc communisme de guerre» - cc communisme d'un genre particulier, imposé :ear une misère extrême, par la ruine et la guerre » (II, 863) - fonctionnait sur la base du pillage systématique des granges par des détachements armés d'ouvriers et de paysans pauvres. Comme dit -Lénine, « on prenait au paysan tous les excédents et parfois même ce qu'il n'avait pas en excédent, une partie des produits nécessaires à sa subsistance » (ibid.). Le résultat fut que les villages n'expédiaient plus aux populations urbaines et à l'armée que les deux cinquièmes ou le tiers de leurs livraisons normales d'avant guerre. A la fin de la guerre civile, la consommation citadine était réduite à 41 % de son niveau d'avant guerre, tandis que plus de 7 millions de personnes étaient mortes de la famine et des épidémies entre janvier 1918 et juillet 1920. Il était évident qu'il fallait rétablir des rapports normaux d'échanges entre les villes et les campagnes. cc Si, disait Lénine en 1919, nous pouvions fournir 100.000 tracteurs de premier ordre, les pourvoir en essence, les pourvoir en mécaniciens, · le paysan moyen dirait : " Je suis pour la commune", c'est-à-dire pour le communisme» (II, 558). Mais c'est :rréc.isément parce que ces 100.000 tracteurs n existaient pas que la révolution d'Octobre avait eu lieu. Cent mille tracteurs en 1917 impliquaient un haut degré d'industrialisation et de modernisation : les Etats-Unis n'en avaient que 1.000 en 1910· et si leur nombre s'est élevé à 250.000 en 1920 cela n'a nullement incité les fermiers américains à donner leur préférence à, la « commune ». En dépit de la mythologie marxiste, il n'y a aucun lien de cause à effet entre le degré de motorisation de l'agriculture et la « transformation socialiste », réelle ou prétendue, des campagnes. Lorsqu'en 1930 Staline s'est lancé dans la furie de la « collectivisation », il ne disposait que d'un parc de 72.100 tracteurs r
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