LA PROLÉTARISATION DES PAYSANS I par Kostas Papaioannou DE TOUS LES ((MIRACLES)) que les auteurs du Manifeste communiste attribuaient à . l' « ère bourgeoise », celui qui leur tenait le plus au cœur était sans doute la disparition des paysans. Le capitalisme, est-il dit dans le Manifeste, a dépeuplé les campagnes, créé des villes immenses et libéré ainsi « une part considérable de la population du crétinisme de la vie rurale ». Marx avait en vue l'Angleterre, pays qui avait délibérément sacrifié son agriculture pour se spécialiser dans la production industrielle. L'expérience n'en a pas moins confirmé son anticip1tion. Dans tous les pays industrialisés l'agriculture représente en effet une part constamment décroissante du revenu national et de la population active. Ainsi, avec une population rurale de plus en plus faible, représentant d'ores et déjà un pourcentage insignifiant (10%) de la population active, l'agriculture américaine satisfait plus que largement les besoins d'une société dont la population a presque doublé en un demi-siècle. Le schéma marxiste LA BASE substantielle de la société moderne n'est plus l'agriculture, mais l'industrie et le monde tertiaire des «services» qui absorbe déjà - comme aux Etats-Unis ou au Canada - 45 à 50 °/4 de la population active. Mais cela ne veut nullement dire que ce processus de« déruralisation » s'est déroulé conformément au modèle catastrophique proposé par le marxisme. Marx croyait que la u nécessité naturelle» de l'économie capitaliste allait broyer les petits et moyeas propriétaires ruraux et les transformerait en ouvriers agricoles exploités par une poignée de gros propriétaires fonciers : Dans la sphère de l'agriculture, l'industrie moderne agit plus révolutionnairement que partout ailleurs en cc 1cns qu'elle détruit le paysan, cc rempart de la vieille Biblioteca Gino Bianco société, et le remplace par le salarié. Ainsi le besoin d'une transformation sociale et la lutte de classes sont ramenés dans les campagnes au même niveau que dans les villes 1 • Engels était, pour sa part, si profondément convaincu que la destruction des paysans était la « loi naturelle » de la production capitaliste qu'il déconseillait aux socialistes toute velléité de cc protéger les paysans contre les prélèvements, la rapacité et les manœuvres intéressées des grands propriétaires fonciers » : pareille tentative était à ses yeux « primo, stupide, et secundo, impossible » (lettre à Sorge du I o nov. 1894). Rarement Marx et Engels se sont si lourdement trompés. Dans aucun pays capitaliste l'implacable «loi» de la concentration foncière ne s'est confirmée. Les seuls qui aient donné un semblant d'intelligibilité à la, « loi » de la prolétarisation des paysans, largement démentie partout ailleurs, sont les pays régis par l'orthodoxie « marxisteléniniste » - mais ce n'est pas le développement spontané de l'économie, c'est la terreur totalitaire qui a livré les paysans à l'appareil d'exploitation et de domination du capitalisme bureaucratique ... De surcroît, la « déruralisation » n'a nullement entraîné les conséquences qu'escomptait Marx. La disparition du « crétinisme » campagnard, l'extinction du paysannat était pour les fondateurs du « socialisme scientifique » une condition sine qua non de l'explosion révolutionnaire et de la victoire du prolétariat. En 1853, Marx écrivait : Une révolution silencieuse s'accomplit dans la société, une révolution à laquelle il faut se soumettre et qui se soucie des existences humaines qu'elle sacrifie aussi peu qu'un tremblement de terre s'inquiète des maisons qu'il détruit. Les classes et les races qui sont trop faibles pour maîtriser les nouvelles conditions 1. DaJ Kapital, ~d. Dictz, 1951, I, p. 530 (trad. franc. Bd. 1ocialcs, li, p. 18o).
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