8 Les variations de Khrouchtchev et de Mao visà~îs de Tito seraient inexplicables par l'idéologie. Elles se comprennent par l'opportunisme et les calculs politiques. Certes, il faut ici se livrer à des hypothèses, mais elles valent mieux que la théorie du conflit idéologique. D'ailleurs, il suffit de juxtaposer les déclarations successives des protagonistes pour se convaincre de leur inanité dérisoire. Khrouchtchev ne le cède en rien à Mao dans les accusations relativement récentes de r~visionnisme à l'adresse du communisme yougoslave, soit dit sans remonter au temps où il vitupérait « la bande d'assassins et d'espions TitoRancovitch qui a consommé son passage du nationalisme au fascisme et est devenue l'agence directe de l'impérialisme ». L'interprétation erronée de la discorde entre les deux plus gros partis communistes a pour effet de justifier l'attitude contemplative des démocraties occidentales dans la guerre froide : ne rien faire suffit à tout arranger. En outre, se référant à l'idéologie, cette interprétation alimente une double pression exercée sur la politique extérieure des Etats-Unis, l'une qui préconise de céder aux exigences de Khrouchtchev pour le-« soutenir » contre les Chinois, l'autre qui préconise de reconnaître officiellement Mao sous prétexte de le « contenir » dans sa stratégie aventureuse. Ainsi l'ennemi gagnerait moins à son unité que dans sa discorde. La théorie du conflit idéologique découle d'une conception encore plus fausse et nuisible qui consiste à regard~r les communistes actuels comme des communistes au sens marxiste du terme, comme des partis et des pouvoirs qui instaurent le socialisme. Rien n'est plus contraire à la vérité, aux définitions exactes. On se lasse d'ajouter constamment des guillemets au vocabulaire en usage, mais il faut savoir que les mots ont changé de sens depuis que le parti communiste de l'Union soviétique se confond avec l'Etat et sacriµe tous ses principes pour perpétuer son monopole du pouvoir. Comme Louis Fischer l'a pertinemment écrit dans le New Leader du 25 juin dernier:« L'Union soviétique n'est pas un pays communiste, ni socialiste, ni marxiste. Nous ne devons pas admettre pour vrai ce que ses dirigeants disent de leurs formes sociales. Ils nous ont trop menti ; nous ne devrions pas nous laisser égarer par des mots. Nous ne devrions pas leur accorder l'avantage d'employer le nom qu'ils choisissent. (...) Si l'Union soviétique était socialiste ou communiste, elle ne serait pas impérialiste ; elle n'opprimerait pas sa population au moyen de ba·s salaires et de B·ibli·otecaGino.Bianco LE CONTRAT SOCIAL prix élevés ; elle n'aurait pas une économie moné... taire fondée sur le travail aux {>ièces,sur le profit, sur des inégalités aigues de salaires et de conditions sociales. » C'est ce que le soussigné n'a pas manqué de soutenir, envers et contre tant de doctes experts. Qu'y a-t-il de commun entre le nationalisme odieux, le chauvinisme écœurant, le ,militarisme scandaleux. des communistes actuels et le marxisme ? Où l'exploitation de l'homme par l'homme est-elle aussi cruelle que dans les pays qui prétendent «construire» le socialisme ? A-t-on jamais vu censure plus stricte, obscurantisme plus opaque, dénis de justice plus criants, privation de liberté plus totale que dans le monde soidisant communiste ? Depuis que Lénine a quitté la scène, l'idéologie originelle a peu à peu disparu de ces régimes parés de vieilles étiquettes. On ne saurait s'y tromper sans verser dans les spéculations les plus aberrantes, notamment celle qui prête aux disciples de Staline l'intention de risquer une guerre mondiale pour imposer le communisme auquel ils ont depuis si longtemps cessé de croire. L'impérialisme soviétique est une réalité, mais sur laquelle il importe de ne pas se méprendre. Khrouchtchev et Mao sont incapables de vivre en paix comme de se déclarer la guerre à l'intérieur du « camp socialiste », de même qu'ils ne peuvent faire la paix ni la guerre à l'extérieur. Les données de leur chantage réciproque et de leur marchandage politique font défaut, mais précisément parce que l'idéologie en est absente, tout compromis entre eux sera précaire, miné d'arrière-pensées perfides. Tandis que Khrouchtchev recourt à une tactique dilatoire, Mao cherche à brusquer les choses pour rallier une opposition internationale contre l'hégémonie mos- .covite. Chacun se réclame de Lénine, non sans raison, mais pas du même Lénine. Khrouchtchev imite le Lénine au pouvoir, ses méthodes pour imposer la discipline sous l'unité de direction centrale. Mao copie le Lénine en minorité, ses procédés de noyautage et de fractionnisme. Mais le conflit actuel se déroule dans des conditions nouvelles où l'exemple de Lénine ne tient pas toujours lieu de directives efficaces. · Mao peut évidemment pousser le plagiat jusqu'à singer Zimmerwald et racoler une IVe Internationale forte, d'emblée, des 17 millions de Chinois inscrits au parti communiste. Mais en cc cas il aurait affaire à des rivaux qui ne resteront pas les bras croisés et ne ménageront pas la riposte. On comprend l'embarras des cc partis frères » et le mal qu'ils ont à sortir de leur discorde. B. SOUVARINE. ,
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