LA DISCORDE CHEZ L'ENNEMI par B. Souvarine LE VERBIAGE qui couvre depuis peu des pages entières de la Pravda et du Quotidiendu Peuple pour obscurcir le sens réel de la discorde dans le monde pseuao-communiste ne laisse encore prévoir aucune issue de cette <« épreuve de patience, d'endurance et d'usure (...) qui .se livre entre les épigones de Staline, blancs ou Jaunes». Les disputeurs ne font que répéter et délayer leurs mornes formules, déjà maintes fois citées ici même, et la quantité logomachique ne se transforme pas en qualité idéologique. Les uns et les autres se réclament de la coexistence pacifique, c'est-à-dire ne vont pas se frotter à la puissance américaine. Ils s'entraccusent réciproquement de dogmatisme et de révisionnfame avec une égale mauvaise foi, car si déviations il y a par rapport à une doctrine parfaite que pers?nne ne possède, ils en sont également et respectivement coupables. En effet, les uns et les autres se montrent dogmatiques en récitant de vieilles formules copiées dans Marx ou dans Lénine, et ils s'avèrent révisionnistes chaque fois que la nécessité leur impose de. contredire la théorie par la pratique. On pourrait dresser un riche catalogue de leurs positions dogmatiques et de leurs contradictions révisionnistes. Il ne s'agit donc pas d'idéologie, mais d'hégémonie, et non pas de principes, mais comme l'avoue maintenant la Pravda, de « subjectivisme », terme de courtoisie pour épargner à Mao l'épithète de mégalomane. Tout homme qui pense révise sa pensée. Tout politicien, soviétique ou chinois, professant le dogme du «marxisme-léninisme», devient révisionniste sous la pression des circonstances. L'article Khrouchtchev révisionniste, paru dans la présente revue (n° de juillet 1960), anticipait sur les récentes polémiques de Pékin, mais ce qui était plutôt compliment ici apparaît injurieux dans ta « querelle de famille». Quant à Mao, si ses bonds en arrière ne sont pas du révisionnisme après son « bond en avant >>, les mots n'ont décidément aucun sens. Depuis quarante-cinq ans, Biblioteca Gino Bianco il a été surabondamment prouvé que le léninisme était une révision du marxisme. Depuis dix ans, les dirigeants soviétiques prouvent que le stalinisme était une révision du léninisme. De nos jours la logomachie soviéto-chinoise a le mérite de démontrer que le «marxisme-léninisme» n'est qu'un salmigondis dogmatico-révisionniste. La théorie du « conflit idéologique » entre · Moscou et Pékin tend à imaginer deux doctrines distinctes pour les opposer l'une à l'autre, l'une assurant la paix, l'autre provoquant la guerre, l'une qui s'accommode du capitalisme, l'autre qui prétend le liquider par les armes. En réalité, le dogme empêche Moscou et Pékin de se résigner à la paix, l'opportunisme révisionniste leur interdit de faire la guerre. Il en résulte un état -d'hostilités permanentes défini d'abord comme guerre froide, puis comme coexistence pacifique, expressions équivalentes. Les différences de ton et, parfois, de terminologie n'entament point une identité foncière. L'argumentation qui explique l'intransigeance de Mao par le libéralisme de Khrouchtchev ne résiste pas à l'examen puisque dès 1951, lors du trentième anniversaire du parti communiste chinois, donc du vivant de Staline, on constatait déjà les différences qui devaient s'accentuer avec le temps (cf. Ombres chinoises, dans notre n° de novembre 1960, où sont cités l' Economist londonien, supplément bleu du 19 juillet 1951, le New York Herald Tn"bune des 3 aoftt 1951 et suiv., le Figaro des 4, 6 et 9 aoftt 1951). En pratique, ces différences ne se traduisaient d'aucune façon sur le plan international, sauf en vaines paroles. C'est ainsi qu'il ne reste rien des affirmations selon lesquelles l'intervention de la Chine communiste dans la guerre d'Algérie aurait été plus active et plus efficace que celle de l'Union soviétique. Les modalités verbales de comportement, les considérations diplomatiques de Moscou, absentes à Pékin, n'avaient nulle importance.
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