QUELQUES LIVRES Luxeuil depuis trente ans. Il est dans son fief. Or les nouveaux non représentent 12, 77 % du corps électoral. C'est-à-dire qu'au cœur de son domaine, et si l'on suppose que tous les nouveaux non sont dus à son influence, M. Maroselli ne touche guère que le huitième des électeurs. Faut-il tenir compte des nouvelles abstentions ? Elles ne dépassent pas 5,75 % des inscrits. Si on les attribuait à l'influence de M. Maroselli (et l'on verra plus loin que cela n'est pas possible), iJ faudrait conclure que son action s'étend au sixième du corps électoral. Pour l'ensemble du département, les chiffres sont beaucoup plus défavorables encore. En septembre 1958, les radicaux font voter oui au référendum sur la Constitution. Aux élections législatives de novembre 1958, ils recueillent 31.102 voix (et sont battus dans les deux circonscriptions, bien que leur audience soit presque égale à ce qu'elle était en janvier 1956). En 1961, ils préconisent le non, et les votes non s'accroissent de 6.391 : cela représente 4,8 % des électeurs inscrits et tout juste le cinquième des électeurs qui en novembre 1958 ont voté pour les radicaux. Est-ce vraiment une victoire que de ne parvenir à conserverqu'un sur cinq de sespropres électeurs ? Doit-on du moins tenir compte des abstentions nouvelles ? Nos auteurs se livrent là-dessus (p. 179) à des considérations compliquées. Il n'y a pas lieu de les suivre sur ce terrain : ils semblent en effet ignorer qu'aux élections législatives de 1958, les abstentions étaient déjà presque aussi nombreuses qu'en 1961 : l'accroissement des abstentions entre les deux référendums était, pour les trois quarts, acquis dès novembre 1958,. et doit donc, pour cette fraction, être attribué à des gens qui échappent à l'influence des radicaux, à des gens qui ont, exceptionnellement, subi l'influence de l'atmosphère constituante en septembre 1958. Cela ne veut pas dire que.ces gens-là comprenaie~t la Constitution, mais que, secoués par les circonstances historiques, ils sentaient ci.u'ils'agissait d'autre chose que d'un vote politique comme les autres 2 • De ce qui précède, deux conclusions peuvent être tirées. La première concerne la méthode. Il apparaît qu'il est dangereux de laisser les 2. On remarquera que « l'exceptionnel mouvement de panicipation du référendum de 1958 - le plus imponant qui ait ~é enregistré dans notre histoire électorale • est signalé p. 121. Mais cette observation n'est plus utilisée dans la suite. Au mlme endroit, les auteurs notent 22,9 % d'abstentions en novembre 1958 et 23,5 % en 1961, mais ne voient là qu'un abstentionnisme croissant (et plus élevé que sous la IVe République). Cc qui nous frappe, nous, c'est la similitude de ces pourcentages : la rigueur de la saison pourrait suffire à expliquer la différence constat~. Il fallait donc, à certains égards, mettre Je rti'érendumde 1961 en parall~le non avec septembre, mais avec novembre 1958. Biblioteca Gino Bianco 379 spécialistes des sciences humaines jouer avec des cartes perforées : tout l'humain s'évanouit dans le ronron de la machine. Quant aux statistiques, elles sont sans doute un admirable révélateur. Mais ce n'est pas le réel qu'elles révèlent: ce sont les préjugés du statisticien. Avant de mettre la vie politique en statistique, il faut se convaincre que, dans ce domaine, les résultats généraux sont totalement dépourvus de sens, et ne permettent nullement de comprendre les cas particuliers. Si l'on veut rendre compte de variations, il faut analyser minutieusement les situations particulières - toutes les situations particulières - de façon à identifier la nature exacte de chaque variation. Et si ensuite on totalise les variations, il faut le faire par catégories. En l'espèce, il fallait évaluer, par exemple, l'influence de la saison (mentionnée p. 149, mais non évaluée) ; l'influence du mécontentement paysan (mentionnée p. I 50, mais non évaluée); l'influence des notables qui sont entrés dans l'opposition (comme M. Maroselli) ; celle des notables qui y sont restés ; l'influence des nouveaux inscrits - entendons : des véritables nouveaux inscrits (car le statisticien peut considérer que le nombre des nouveaux inscrits est exprimé par la différence des inscrits, mais l'homme de réflexion sait que les nouveaux inscrits sont beaucoup plus nombreux, que la plupart d'entre eux sont des jeunes gens, et que leur façon de voter serait aussi utile à connaître que la façon dont votent les femmes). De telles évaluations auraient donné aux observateurs du présent aussi bien qu'aux historiens de l'avenir une image vivante du scrutin, une image proche du réel. Ce serait beaucoup de travail ? Sans doute. Ce serait, en tout cas, le seul travail qui pourrait se dire scientifique. Car la science ne consiste pas à survoler le réel, mais à le serrer au plus près. L'autre conclusion concerne la signification du référendum et de ses résultats. Les auteurs de cet ouvrage ne sont r,as les seuls à avoir considéré que le chef de 1 Etat avait remporté une victoire sur le Parlement. La plupart de nos observateurs politiques vivent dans l'atmosphère parlementaire, et avaient conclu de façon analogue. Ainsi s'est répandu, sur la façon dont le pays a voté, un extraordinaire malentendu, dont le cas de M. Maroselli est une bonne illustration. Nos auteurs font passer pour un redressement honorable ce qui est en réalité une sanglante défaite. Pis encore : ils ne voient pas que la défaite de M. Maroselli et des autres opposants n'est nullement celle du parlementarisme. Les électeurs en effet, sauf précisément ceux qui ont suivi les appels de M. Maroselli et autres vaincus de 1958, ont voté sur le problème national qui leur était soumis, comme les incitaient à le fiure la plupart de leurs élus de 1958. En laissant entendre que le parlementarisme était l'enjeu de la consultation, nos auteurs s'inscrivent parmi ces experts qui ont, par leurs erreurs:_de
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