Le Contrat Social - anno VI - n. 6 - nov.-dic. 1962

378 Formulons d'abord le regret de constater que toute documentation primaire a été scrupuleusement éliminée de cet ouvrage documentaire. Les historiens futurs ne trouveront ici aucun renseignement qui puisse leur permettre de résoudre un problème qui se serait posé à eux. En dehors des résultats proclamés par le Conseil constitutionnel, ils ne rencontreront ici qu'une documentation déjà digérée et qui permet exclusivement de se poser les questions que se sont posées les rédacteurs de l'ouvrage, et d'arriver à leurs conclusions. Nous-même, pour analyser le cas dont il sera question plus loin, n'avons rien pu utiliser de ce qui se trouve dans cet ouvrage collectif : nous nous sommes servi des chiffres publiés par le Monde, et nous avons calculé les pourcentages qui nous semblaient nécessaires à une interprétation judicieuse. Mais avant d'aborder quelques chiffres, notons que la machine semble avoir détourné nos spécialistes de réfléchir de façon suffisammentapprofondie sur les données du problème. Du problème ? De quel problème? Oui, quel problème se posait à eux, ou plutôt : quel problème se sont-ils posé ? En apparence, aucun. Ou du moins aucun autre que de rassembler une documentation et de l'éclairer par quelques considérations sur les circonstances du référendum, et par quelques conclusions qui leur paraissaient se tirer avec évidence de la documentation rassemblée. Leur travail consiste essentiellement à comparer les résultats des référendums de 1958 et de 1961 sans qu'à aucun moment - en dépit des quelques affirmationstranchantes de la p. I 16 - ils expliquent pourquoi ils font ce parallèle. Il ne leur ~st pas venu à l'esprit que ces deux référendums · pouvaient n'être pas exactement comparables. Il ne leur est pas non plus venu à l'esprit qu'on pouvait aussi, dans une certaine mesure, tenir compte des élections législatives de 1958. Il y a plus grave. Dès le mois de mars 1961, M. Goguel, dans la Revue française de science politique, confrontait les résultats de 1961 avec ceux du référendum de 1958. Il indiquait alors que l'accroissement des votes non allait, en certains endroits, jusqu'à 5,9 %- A présent on nous parle - prodigieuse différence - d'accroissements de 205 °/o. Sans doute M. Goguel se fondait-il sur les résultats par départements, alors qu'il est maintenant question de résultats par cantons. Mais on sent bien qu'un semblable changement d'échelle ne peut à ce point transformer les pourcentages. En fait, cette prodigieuse différence vient de ce que le calcul de l'accroissement des votes non en pourcentage des inscrits a été remplacé par un calcul du rapport des pourcentages. C'est-à-dire qu'on s'est éloigné du réel. Les pourcentages n'ont avec le réel qu'une parenté au second degré. Les pourcentages de pourcentages sont parents du réel au troisième degré. Ce qu'on nous fournit comme u documentation » sous forme de cartes comparaBiblioteca Gino ·Bianco \ LE CONTRAT SOCIAL tives établies avec soin et longuement commentées, c'est le reflet d'un reflet. En vérité, nous sommes presque dans l'irréel. M. Goguel le savait bien, qui écrivait (p. 19 de son article de 1961) : « Une carte des indices d'évolution n'apparaît pas comme le meilleur instrument parce que, là où le pourcentage des non était très faible en 1958, elle donnerait trop d'importance apparente à une progression limitée en valeur absolue. » MM. Lancelot et Ranger reprennent cette observation (p. 161), mais sans en faire leur profit : ils ne peuvent résister à ce vertige statistique qui fait prendre pour plus scientifique ce qui s'éloigne le plus de la basse matérialité des faits. Ils sont d'ailleurs fâcheusement portés à établir des graphiques d'où il ne semble pas qu'aucune conclusion intéressante puisse être tirée, et dont en tout cas ils ne tirent rien d'intéressant. Mais s'agit-il exclusivement de vertige statistique ? Ce n'est pas certain. On ne peut se défaire de l'impression qu'ils ont été séduits ~ par un mode de calcul qui, donnant du relief à la progression des non, mettait en évidence l'influence des intermédiaires. Le général de Gaulle, à vrai dire, s'est, dans son discours du 6 janvier 1961, exprimé contre les «intermédiaires». Mais il est douteux que la science politique doive prendre les discours électoraux au pied de la lettre. A cette date-là, la plupart des «intermédiaires» avaient déjà exprimé leur accord avec la politique du chef de l'Etat. De sorte que les «intermédiaires» d'opposition, si l'on fait abstraction des extrémistes, étaient essentiellement les radicaux. Ontils été entendus autant que le pensent MM. Lancelot et Ranger ? Ceux-ci font état, notamment, de l'influence de M. Maroselli en Haute-Saône, et M. Touchard souligne dans sa préface (p. xv) que c'est le seul cas où le rôle d'une personnalité locale ait été analysé. Eh bien, analysons le cas de la Haute-Saône, pesons l'influence de M. Maroselli, champion du non. MM. Lancelot et Ranger citent df!s indices mirifiques. Cela fait penser à ces statistiques soviétiques si difficilesà interpréter parce qu'elles donnent des pourcentages et non des chiffres réels. ~ais les indices qu'on nous offre ne sont que des rapports entre des pourcentages. Pour en faire la critique, il faut aller chercher ces chiffres réels que risquent d'ignorer les historiens de ravenir. Et l'on éprouve alors quelque surprise. M. Maroselli, qui a fait voter oui en 1958, se prononce en 1961 pour le non. Et il ne se prononce pas à voix basse : dès le 4 dé~embre 1960, à Luxeuil, il s'élève dans un discours contre le «pouvoir personnel » et le cc référendum-plébiscite ». A0111ire~son audience : l'indice des opposants, à Luxeuil, s'élève à 237 (entendez que leur nombre s'est accru de 137 %). C'est une victoire, n'est-ce pas ? Mais M. Maroselli, vice-président du parti radical, sénateur, ancien ministre, pari~~ mentaire chevronné, est maire de Luxeuil depui~ trente-deux· ans, conseiller général du canton @ • 1

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