Le Contrat Social - anno VI - n. 6 - nov.-dic. 1962

QUELQUES LIVRES hésité plus de deux ans avant d'oser manifester ses sentiments, et que le jour où elle le fit - à une très forte majorité - le régime s'écroula. &t-il meilleur exemple de l'insuffisance du soutien parlementaire ? Indubitablement, ce soutien ne suffit pas : il faut aussi avoir avec soi le pays et l'armée. Ou plutôt il faut, lorsque l'armée est incertaine, avoir pour soi une très forte majorité des électeurs, afin que l'armée hésite à se jeter dans les aventures. Et il faut, lorsque l'armée s'est mêlée d'avoir une politique à elle, la reprendre . en main. Bien. peu de gens ont réfléchi aux problèmes que posait cette reprise en main. Aussi a-t-on entendu des êtres épris de justice abstraite s'indigner de la disgrâce du soldat aux mains propres, de la promotion du soldat aux mains sales. Ils ne comprenaient pas que le problème capital était de détruire la solidarité des putschistes, de rendre une bonne conscience à tous ceux qui pouvaient être tenté~ de penser _que seu_l il? nationalisme outrancier apporterait une Justification morale aux méthodes dont ils avaient usé. Parmi les faits que cite la chronologie initiale, parmi ceux dont fait ét~t M. Goguel, il y en _a un qui manque, et qui est sans doute le fait essentiel. Pendant deux ans, colonel après colonel, général après général, le chef de l'Etat avait éloigné d'Algérie tous les responsables et tous le_s participants essentiels du putsch du 13 mai. Et c'est au moment exact où il venait d'achever cet assainissement nécessaire, qu'il décida de faire approuver par référendum la politique qu'il voulait mener en Algérie, celle qu'avait ajournée le putsch du 13 mai. Un vote du ).>arlementaurait-il pu jouer un rôle équivalent ? Il. est permis d'en douter. L'Assemblée était très divisée sur cette affaire. Un grand nombre de députés étaient hostiles à_ la politique d'autodétermination. D'autres, c'est par tactique de sure~chère qu'ils se seraient m,ontr~s peu conciliants. Bref, le gouvernement n aurait pas trouvé une majorité bien consistante. Sans doute même aurait-il « engagé sa responsabilité sur le vote d'un texte », comme dit la Constitution, c'est-à-dire que le texte aurait été adopté sans vote dans une atmosphère de malaise, ou bien que l'opposition se serait comptée nombreuse sur une motion de censure. En outre, il aurait fallu préciser les intentions et les projets du chef de l'Etat sur le problème le plus controversé, celui qui suscitait les passions les ,Pl~s violentes. Donner la parole au Parlement, c etait donc nuire doublement à toute négociation, car d'une part on désarmait le négociateur _français en" lui dictant des termes trop rréc1s, et d'autre part, en rendant manifeste 1 existence d'une forte opposi?on parlementair~, .on encourageait les adversaires d'une négoc1ac1on,on en décourageait les partisans. Indubitablement, pour l'armée, pour le F.L.N., pour les ultras et ce~ qui pouvaient être tentés de le~ sui~re, un ~u, •massif,, du corps électoral devait avoir un po1Cfs Biblioteca Gino Bianco 377 considérable, un vote de l'Assen1blée eût été à peu près dépourvu de signification. Sans doute M. Goguel n'a-t-il pas tort de penser que le référendum permettait au gouvernement de rétablir sur l'Assemblée une autorité de plus en plus contestée. Mais ce n'était qu'un aspect de la question, et il convenait d'exposer aussi le problème de politique étrangère (car c'était là le vrai caractère du problème algérien) qui, _depuistant d'années, soulevait de si violentes passions. Les rédacteurs de cet ouvrage ont ignoré la gravité du problème algérien, ils ont été obsédés par le conflit du Président avec le Parlement, et cela conduit à une fâcheuse conséquence. Méconnaissant assez étrangement que, dans l'affaire d'Algérie, le général de Gaulle menait la politique souhaitée depuis longtemps par la très grande majorité du corps électoral, oubliant de même que des partis importants étaient d'accord sur ce point avec le chef de l'Etat, les analystes du scrutin s'~ttachent à mesurer au nombre des non l'influence des « intermédiaires » sans prendre garde qu'une foule d'électeurs a voté oui non pour le chef de l'Etat, mais pour l'arrêt de la guerre d'Algérie, non contre les « intermédiaires », mais d'accord avec eux. Nos auteurs ne veulent connaître que des intermédiaires d'opposition, et M. Goguel s'efforce (p. 33) de justifier cette position en soutenant que la campagne pour le oui « a eu beaucoup moins d'écho dans l'opinion, d'une part que la campagne pour le non (...), d'autre part qu_eles trois discours prononcés (...) par le président de la République ». L'argument n'est pas très convaincant. Lorsque, en décembre, M. Guy Mollet déclare que « le oui massif est une condition nécessaire pour briser l'espoir des activistes et pour aider de Gaulle», il sait vraisemblablement qu'il est d'accord, non seulement avec le président de la République, mais avec le sentiment public, et que sa déclaration permettra aux électeurs de gauche de voter oui avec la conscience tranquille 1 • M. Goguel s'est sans doute tenu trop près de la trame parlementaire, et il a perdu de vue le problème national qui était à résoudre. A l'inverse, MM. Lancelot et Ranger se sont tenus à distance du vote qu'ils avaient mission d'analyser. Entre les électeurs et eux, ils ont placé une machine I.B.M. Le résultat est assez curieux. 1. La chronologie initiale, qui cite,:\ la date du 18 novembn·, une déclaration de M. Guy Mollet contre le référendum, ne mentionne pas cette déclaration, sur laquelle le Mo11de titra en première et seconde page. Elle se borne à mentionner que le congrès S.F.J .O. s'est prononcé pour le oui « avec M. Guy Mollet» (en donnant d'ailleurs une dat légèrement inexacte).

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