Le Contrat Social - anno VI - n. 6 - nov.-dic. 1962

376 par une analyse comparative, une meilleure compréhension des phénomènes contemporains ». La partie documentaire comprend une chronologie d~s é~énements politiques du 21 octobre 1960 a~ 14 Janvier 1961 ( date de la proclamation officielle des résultats du référendum du 8 janvier); un .~on exposé, par M. Goguel, de la situation politique dans la période qui a précédé le référendum ; un compte rendu, par J. et M. Charlot, de la campagne qui a précédé le référendum avec, en annexe, les discours du général de Gaulle les prises de position des partis, le texte du décret et du projet de loi, la reproduction des affiches avec le chiffre de leur tirage; une étude sur le rôle des journaux, par M. Jacques Kayser ; enfin onze grandes cartes, établies à l'échelon cantonal, et qui donnent, pour 1958 et 1961, les pourcentages de oui, de non et d'abstentions par rapport au nombre des électeurs inscrits et, en pourcentage, l'évolution de ce's pourcentages de 1958 à 1961. ,L~ partie explicative est formée par une analyse generale de MM.· Lancelot et Ranger, qui s'efforcent de déterminer l'origine des variations constatées entre 1958 et 1961, et par des « études pa~iculièr~s. » co~cern~t le vote de l'agglomération pan~ienne,_~elui des femmes à Lyon, les suffrages d opposition à Lille, dans l'Ain, dans les Ardennes. On remarque partout dans ce livre le souci évident d'être véridique, mieux encore : un esprit délibérément scientifique. Et pourtant il ne nous donne satisfaction ni sur le plan documentaire ni sur le plan explicatif. C'est qu'il souffre de défauts qui concourent à fausser la description et l'analyse, et dont les plus apparents sont l'abus de l'esprit scientifique et la présence de préjugés politiques. Loin d'être contradictoires, ces défauts sont complémentaires, car les auteurs, aux yeux de qui le sens et la portée du scrutin étaient, avant toute réflexion, choses aussi peu douteuses que le cogito pour Descartes après réflexion, se sont livrés à un travail « scientifique » dont le résultat a été qu'ils se sont assez éloignés de~ faits pour pouvoir les interpréter à leur gUise. · Rétrospectivement, le référendum du 28 octobre dernier semble justifier M. Goguel lorsqu'il expose (p. 27) que le référendum de 1961 a été décidé par le « guide de la nation » exerçant « le _pouvoir suprême» et lorsqu'il l'interprète (p. 34) comme une tentative de « démocratie directe et plébiscitaire». Un autre rédacteur parlera (p. _190) de déviation plébiscitaire, un autre (p. 204) de consultation plébiscitaire. D'ailleurs l'analyse politique de M~ Goguel tend à mettre en valeur la tension qui régnait à la fin de 1960 entre le général de Gaulle et l'Assemblée nationale, et à faire apparaître le référendum Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCTAL comme un moyen utilisé par le chef de l'Etat pour triompher du mécontentement parlementaire en s'appuyant sur la nation. Et l'on remarque que MM. Lancelot et Ranger, dans leur conclùsion, sont portés à « rejeter les affirmations rapides sur l'effacement forcé des intermédiaires »(p. 189), bien que, lit-on à la page suivante, «l'influence des notables (...) profite (...) à l'abstention autant qu'au vote négatif». Il est donc clair que, pour nos auteurs, le référendum fut fondamentalement une lutte entre le général de Gaulle et des notables - des «intermédiaires» - qui ont fait voter non et qui, lorsqu'ils ne décidaient pas l'électeur à les suivre, ont souvent obtenu qu'il s'abstienne. Nos analystes terminent en disant que le général de Gaulle a fait voter «sur son nom plutôt que sur sa politique », mais ils constatent néanmoins avec satisfaction que «la conscience politique du corps électoral paraît (...) plus grande en 1961 qu'en 1958 ». On est tenté de penser qu'ils considèren~ un vo~e non, une _abste!ltion comme plus c?nscients qu °=11 vote oui. Mais le contexte précise que les oui de 1961 eux aussi leur semblent plus conscients que ceux de 1958. On-se demande ce qui, dans leur cartographie statistique, leur permet de distinguer un oui conscient d'un oui inconscient. Certes il est arrivé à M. Goguel de faire, à deux ou trois reprises, allusion au problème algérien, et aux avantages que le chef de l'Etat tirerait du référendum pour la mise en œuvre ~e sa poli~ique. Mais comme il emploie la forme interrogative (p. 28), comme il voit dans le référen~ull?- une , manœuvre de . politique intérieure aussi bien qu u1_m1 oy~n d'agir en Algérie (p. 30), comme enfin il attribue de simples « raisons d'ordre tactique » à une propagande qui limitait 1~portée du vote oui « à la seule politique algérienne », c'est-à-dire qui s'en tenait à la lettre du texte (p. 31), il est clair qu'il ne parvient pas à penser que le référendtun était nécessaire à la mise en œuvre d'une politique algérienne. Pour lui, visiblement, le référendum devait, essentiellement, raffermir le pouvoir du général de Gaulle. Il signale (p. 29) qu' « en dehors de !;U.N.R. la quasi-unanimité des parlementaires pensaient que le v9te d'une loi selon la procédure normale des délibérations des assemblées aurait présenté les mêmes avantages que le recours au référen- ~um, sans avoir les mêmes .inconvénients », et il y a lieu de penser qu'il partage ce point de vue. L'Assemblée nationale apparaît ainsi comme une forteresse dont l'appui devait suffire au chef de l'Etat. Ce qui oblige de nouveau à conclure que le chef de l'Etat a pris prétexte de l'affaire d'Algérie p~ur provoquer un référendum qui lui permît d'tmposer sa volonté à l'Assemblée. Mais peutêtre la situation n'était-elle pas si simple. A la vérité, très nombreux sont les gens qui ont méconnu les extraordinaires difficultés de la situation léguée à la ye République par le régime qui l'a précédée. On a oublié que la dernière Assemblée de la IV8 République a

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