Le Contrat Social - anno VI - n. 6 - nov.-dic. 1962

QUELQUES LIVRES lutte pour le pouvoir d'organisation, la nécessité de préserver le mythe unificateur et de bien différencier les objectifs socialistes des idéaux professés par les mouvements plus vastes, quoique plus vagues, de réforme libérale. C'est aujourd'hui plus évident que jamais. Dans la littérature actuelle sur le sujet, le sens même du terme dépend de la définition qu'en donne le Kremlin, lequel intervient uniquement en fonction des rapports de force, perpétuellement changeants, entre l'Union soviétique et les autres nations communistes, qu'elles soient satellites ou relativement indépendantes, d'une part, et, d'autre part, entre l'Union soviétique et le monde non communiste. Ce par quoi diffèrent le «révisionniste» Tito et le «dogmatique» Mao n'est pas tant leur attachement respectif à un article de foi spécifique que leur acceptation ou leur refus, en fait sinon en paroles, de l'hégémonie de Moscou. Staline a bien le droit de réviser Lénine, et Khrouchtchev d'en faire autant à l'égard de Staline : il s'agit là d' « applications créatrices » du marxisme et quiconque refuse d'accepter la révision est stigmatisé comme «dogmatique ». Mais dans les marches extérieures plus ou moins névralgiques, si de nouvelles idées circulent sans avoir reçu l'imprimatur du Kremlin, elles sont condamnées comme « révisionnistes », · . seraient-elles habilement étayées de citations de Marx et confirmées par la réalité contemporaine. Le décret vieux de quelques années suivant lequel « le révisionnisme est le principal ennemi du communisme » est toujours en vigueur. La sentence traduisait la crainte que les tendances libérales et les aspirations culturelles manifestées par les intellectuels communistes des pays satellites n'engendrent une infection politique menaçante pour «l'unité du mouvement révolutionnaire mondial », euphémisme qui dissimule le joug impitoyable du Kremlin. Dire qu'un mouvement, une doctrine, sont «révisionnistes », c'est prononcer un arrêt de mort. Vieille histoire; davantage que l'incroyant, on craint et on déteste l'hérétique, car il est plus dangereux. * • • Ces dernières années, un flot de livres et d'articles contre le révisionnisme a déferlé dans la presse communiste. L. Labedz cite un jugement caractéristique d'un certain F. Polianski : La position des révisionnistes sur les questions fondamentales du mouvement révolutionnaire marxiste, sa philosophie, son économie politique, ainsi que son activité pratique, est hostile à l'unité du mouvement révolutionnaire mondial et prouve à l'évidence que les révisionnistes sont les agents de l'impérialisme dans le mouvement ouvrier. L'ampleurde l'anathèmeressort du fait qu'une simple théorie de la perceptionpeut être - a effectivement été - tenue pour une question Biblioteca Gino Bianco 371 fondamentale du mouvement révolutionnaire marxiste. La fin de la citation a une résonance sinistre. Non seulement les fondements institutionnels permettant l'épuration culturelle et la terreur politique sont toujours en place en U.R.S.S. - et chacun sait le sort réservé aux « agents de l'impérialisme », - mais les façons de penser et de sentir qui avaient cours sous Staline n'ont pas disparu. Il suffirait d'un mot de Khrouchtchev pour remettre en branle l'appareil de répression. Si l'on délaisse les aspects politiques du révisionnisme pour essayer de déterminer objectivement ce que sont les révisionnistes et en quoi consiste leur originalité, il faut au préalable se mettre d'accord sur le corps de propositions qui constitue l'héritage marxiste. La chose n'est pas facile, car, nous l'avons vu, la plupart des révisionnistes affirment que leur Marx est le vrai, le seul. Les doctrines marxistes dont on les accuse à tort d'avoir dévié ne seraient qu'une déformation due à quelqu'un d'autre. Il est néanmoins certaines conceptions qu'il serait étrange de ne pas reconnaître comme étant au centre de la pensée marxienne - étrange si l'on se réfère à Marx dans le texte, en usant des normes d'interprétation qui sont celles des révisionnistes eux-mêmes quand ils étudient les œuvres des penseurs les moins sujets à controverse. Prenons, à titre d'exemple, deux propositions. La première a été formulée par Otto Bauer, un des principaux théoriciens de l'école austromarxiste. Bauer prétend que, selon Marx, « ni la dictature, ni la terreur, ni aucune forme de pouvoir, ne peuvent imposer à un pays un ordre social dont les forces productives et les rapports de production ne sont pas mûrs ». Vérité difficile à contester pour un spécialiste du marxisme, à moins qu'il ne soit fanatiquement « dans la ligne ». La seconde proposition est que Marx était un démocrate qui envisageait le passage au socialisme sous la forme d'un mouvement de masse. Dans certaines circonstances, ce mouvement serait pacifique; dans d'autres, il ne le serait pas ; mais en aucun cas ne pouvait être envisagée la dictature d'un parti politique, qui plus est, minoritaire. A considérer ces propositions - et il y en a d'autres - les plus grands révisionnistes dans l'histoire du marxisme sont les bolchéviks euxmêmes. Cela indépendamment de la vérité ou de l'erreur contenue dans les principes révisés. Le succès du bolchévisme durant quarantecinq ans constitue une réfutation de la théorie marxienne du matérialisme historique: c'est le mode de décision politique qui a déterminé le mode de production économique, et non l'inverse. Certes, les bolchéviks n'ont pas été les seuls à réviser Marx; on a connu également un révisionnisme social-démocrate. Cependant, ce qui est dénoncé en U.R.S.S. comme « révisionnisme », ce ne sont pas seulement les révisions des doctrines de Marx, mais en fait les

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