L. LAURAT propriété ou à «abolir» la monnaie. Nombre d'adeptes du socialisme ne s'aperçoivent malheureusement pas que ce processus est presque parvenu à maturité sous leurs yeux et qu'il ne reste plus qu'à faire tomber les entraves pour ouvrir la voie à une croissance organique 14 • ON nous excusera de n'avoir pu donner qu'un aperçu des idées de K. Renner. Ce bref examen de ses thèses essentielles permet cependant de tirer les conclusions suivantes : 1. Il est inutile de poursuivre la politique des nationalisations puisque le secteur déjà nationalisé est bénéficiaire de la plus grosse fraction de la plus-value et que la part qui revient aux branches privées peut être récupérée par la collectivité grâce à d'autres méthodes. Il est d'ailleurs contestable que l'Etat dispose toujours à bon escient de la plus-value que lui rapportent les branches nationalisées ; certaines sont mal gérées, au point de ne laisser aucune plus-value à la collectivité. 2. Dans des pays où, jusqu'ici, il n'y a pas eu de nationalisations (Etats-Unis, Allemagne), l' évolution vers ce que Gaitskell appelle la « propriété publique » pourra parfaitement rendre les nationalisations inutiles. L'intervention des pouvoirs publics dans la circulation pour confisquer ou taxer des revenus parasitaires au bénéfice de la collectivité aboutira à des résultats plus satisfaisants : elle évitera les pertes qu'entraîne, du moins au début, la profonde réorganisation qui accompagne une nationalisation. 3. Le processus de socialisation sur le plan du travail, du capital variable, est déjà si avancé que salariés et couches sociales apparentées ont 14. K. Renner: Hundert Jahre Karl Marx, 1947, p. 100. Biblioteca Gino Bianco 369 tout intérêt à éviter cc le régime des couvents » pour conserver la marge de liberté individuelle qui leur reste. Dans la mesure notamment où il s'agit de la gestion du salaire collectif (indirect), il serait indiqué, surtout en France, d'envisager la désétatisation de la Sécurité sociale pour que les bénéficiaires soient davantage en mesure de contrôler l'emploi des fonds qui sont, après tout, leur propre capital collectif et dont l'administration est aujourd'hui grevée de frais bureaucratiques excessifs. Il faut évidemment distinguer entre droit de contrôle et aptitude à exercer ce contrôle. C'est ici que nous heurtons l'obstacle majeur, qui s'oppose pour l'instant à tout progrès de la socialisation, quelles qu'en soient les modalités. On aura beau inventer les plus beaux moules collectifs, ceux-ci ne serviront de rien si la masse des travailleurs n'est pas en mesure de s'en servir, de trouver dans ses propres rangs assez d'hommes capables de les animer et de les gérer, et d'exercer sur eux un contrôle. Ces moules serviraient encore moins si à la masse manquait la volonté de les contrôler, si elle se complaisait, pour reprendre une formule de Josef Hindels 15 , dans le rôle de cc consommateurs passifs de bienêtre ». Telle nous paraît être, malheureusement, à l'heure actuelle, la mentalité des classes laborieuses. Dans bien des cas, elles se montrent même incapables de profiter de toutes les dispositions légales et de remplir toutes les fonctions que les institutions leur offrent. Elles devraient apprendre à se servir judicieusement de tous les l~viers déjà entre leurs mains, avant de revendiquer des institutions nouvelles que leur carence risque de livrer à des technocrates disposant à discrétion du bien prétendument commun. LUCIEN LAURAT. 15. Die Zukunft (revue mensuelle du socialisme autrichien), juin 1955, n° 6.
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