Le Contrat Social - anno VI - n. 6 - nov.-dic. 1962

368 laire ne changent rien aux structures capitalistes et n'ont rien à voir avec le socialisme. Bien au contraire, cela fait surgir un danger : l'Etat devient le capitaliste unique et intégral ; tous les citoyens, des prolétaires intégraux. Rien ne sera changé à l'essence ni à l'action du capital, seule sa puissance s'en trouvera concentrée. Les agents du capital occupant les fonctions décisives sont dès à présent des non-propriétaires. L'acte juridique de l'étatisation n'entrave en rien la fonction de l'appropriation de la plus-value et de l'exploitation. (...) Réaliser le capitalisme intégral, le capitalisme à son apogée s'y emploie dès aujourd'hui. Et fort probablement avec plus de compétence, et moins de risques ; en évitant surtout les immenses destructions, la terreur, les famines qui marquent les révolutions communistes à la mode de Lénine et de Staline 9 • DANS Wege der Verwirklichung (1929) et dans d'autres ouvrages 10 , Renner met en relief le processus de socialisation qui s'accomplit à l'autre pôle, du côté du monde du travail. Ce processus est à la fois matériel, structural, moral et intellectuel. La masse amorphe, encline il y a un siècle aux réactions aveugles et chaotiques, est aujourd'hui de plus en plus organisée, éclairée, capable de s'imposer une discipline. Elle a tiré de ses propres rangs de fougueux agitateurs et rassembleurs d'abord, puis des organisateurs plus pondérés, enfin des hommes apprenant peu à peu à administrer les organisations dont ils ont la responsabilité. Placés à la tête de syndicats, de mutuelles, de coopératives, d'organismes d'assurance et d'épargne, enfin de banques ouvrières, ils ont appris à gérer et acquis des notions pratiques d'économie. Les parlementaires et les dirigeants syndicalistes, les conseillers municipaux et les maires ont assimilé les notions de droit indispensables pour participer activement à l'élaboration de la législation sociale et de la politique économique et financière. Le développement des organisations culturelles, sportives, · etc., se solde par une incontestable élévation du niveau intellectuel et moral des travailleurs., ce qui rend ces derniers plus aptes à surveiller ceux à qui ils confient des f on~tions dirigeantes. Sur le plan des structures, Renner met en relief le rôle des coopératives. Dans la mesure où il s'agit de coopératives de production, leurs membres s'approprient au moins une partie de la plus-value (le profit industriel), bien que le profit commercial soit réalisé par le capital privé si celui-ci se charge de la distribution, et l'intérêt par le même capital privé s'il faut faire appel à lui. Mais les coopératives de consommation, à leur tour, soustraient au capital le profit commer9. Wandlungen der modernen Gesellschaft, pp. 198-99. 10. Notamment Die neue Welt und der Sozialismus (1946). BibliotecaGino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES cial, et les caisses d'entraide. et les mutuelles se transforment peu à peu en banques ouvrières, qui soustraient une partie de l'intérêt et du profit bancaire au capital privé. Renner juge cette évolution avec réalisme : « La coopération ne socialise pas la plus-value, elle en modifie la fonction sociale ; c'est la solidarisation de la plus-value 11 • » Plus importante encore est cette évolution en ce qui concerne le salaire. Purement individuel voilà soixante-dix ans encore, le salaire se divise aujourd'hui en deux fractions : salaire individuel (généralement appelé « salaire direct ») et salaire collectif(« indirect »). Au début de cette évolution, à l'époque où Assurances sociales et Sécurité sociale étaient inconnues, c'est par l'initiative des salariés eux-mêmes qu'une fraction, tout d'abord assez faible, du capital variable est socialisée (caisses de secours et d'entraide, mutuelles, œuvres sociales des syndicats, des coopératives, etc.). Plus tard, avec le développement de la législation sociale, la loi oblige les salariés à distraire une partie de leur gain pour cotiser aux Assurances sociales. Enfin, des cotisations patronales s'ajoutent aux cotisations ouvrières, et c'est le patronat lui-même qui débourse une partie du capital variable sous forme de salaire collectif. Une partie de ce salaire collectif n'est même pas versée par le patronat, mais par les municipalités, les départements ou l'Etat (l'exemple le plus" connu est sans aucun doute le système anglais de sécurité sociale). Aussi Renner croit-il nécessaire de faire cette remarque: La question de savoir si la fraction du capital variable socialisée par l'Etat peut encore être désignée comme capital variable est une question théorique qui ne modifie en rien les faits décrits 12 • Dans l'ensemble, Renner constate que « la vie individuelle de l'ouvrier, depuis le berceau (clinique d'accouchement) jusqu'à la tombe (enterrement gratuit), est intégrée et imbriquée dans la communauté à un degré jadis inconnu», et il ajoute : Par rapport au point de départ, l'existence de l'ouvrier est aujourd'hui socialisée aux trois quarts et il est permis de se demander s'il est bon d'aller dans cette voie jusqu'au bout (régime des couvents) et s'il ne serait pas plus souhaitable de conserver une sphère de liberté individuelle plutôt que de procéder en ce domaine à une socialisation totale 13 • Citons enfin ce blâme dont pourraient faire leur profit nos «progressistes » de tout poil : L'idée qu'il faut inventer quelque chose pour abolir le salaire et 1e salariat est tout aussi primitive et indigente que les propositions tendant à su~rimer la II. Wege der Verwirklichung, p. 89. 12. Die neue Welt und der Sozialismus, p. 36. 13. Ibid., pp. 36-37.

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