Le Contrat Social - anno VI - n. 6 - nov.-dic. 1962

362 .nistration doit prévenir, pour maintenir avec les bonnes mœurs, le respect pour les lois, l'amour de la patrie et la vigueur de la volonté générale 44 • L'économie politique, pour Rousseau, c'est l'économie gérée selon les principes politiques c'est-à-dire par le Contrat social, et conformé~ ment aux buts de la démocratie. L'économie domestique est organisée sur la base de l'autorité du chef de famille ; elle se passe de lois et sa bo~e administration dépend de la sagesse du patriarche, de l'amour qu'il voue à chaque membre de la cellule familiale. Dans la « grande famille» qu'est l'Etat démocratique, fondamentalement si différente de la famille naturelle l' « a!-lto~ité_politique,pur:ment arbitraire quant à son 1nst1tut1on,ne peut etre fondée que sur des conventions, ni le magistr.at commander aux autres qu'en vertu des lois 45 ». L'économie de l'état civil contemporain de Rousseau était soumise au règne des inégalités et des privilèges, car l'autorité politique se trouvait entre les mains des bénéficiaires de ces inégalités et des tenants de ces privilèges. Le système c~nventionnel de l' « économie politique popuhure », reposant sur la volonté générale et l'intérêt général de tous les membres du Souverain, ne perd jamais de vue l'égalité et la justice. Rousseau, fondateur de l'économie politique de la démocratie, ne disserte point sur les vertus du « produit net», sur le commerce des grains ou sur l'opportunité de l'établissement des manufactures dans un pays donné, mais il se préoccupe de faire de l'égalité conventionnelle de tous les m~mbres de .1~ grande famille : paysans, artisans, prmc~s, politiquement souverains, une égalité e!fecttve. La proclamation de l'égalité conventionnelle et la suppression des privilèges marqueront les premiers pas vers l'instauration du règne de la souveraineté nationale et populaire, non dans la gestion économique de l'Etat, mais dans la gestion politique de l'économie. Les fonctions politiques de l'économie valent ce que vaut l'Etat et l'Etat ce que valent ses citoyens, ·ce que valent leurs mœurs. En dehors des questions purement constitutionnelles touchant à la structure de la démocratie, un problème moral se pose lorsqu'il s'agit d'appliquer le.Contrat social au domaine de la gestion économtque : « •• .le plus grand ressort de l'autorité P.ublique est dans le cœur des citoyens, et (...) rien ne peut suppléer aux mœurs pour le maintien du gouvernement 46 ». Il faut donc tenir compte du fait que les « peuples sont à la longue ce que le gouvernement les fait être 4 7 » et aussi du fait que les cc tyrans », pour parvenir à leurs fins, 44. De l'Economie politique, II, pp. 428-29. 45. Ibid., p. 400. 46. Ibid., II, p. 418. Un peu plus loin (p. 420), Rousseau dit que les mœurs publiques suppléent au génie des chefs ; et plus la vertu règne, moins les talents sont nécessaires. 47. Ibid., p. 416. BibliotecaGino Bianco ANNIVERSAIRES s'appliquent « à corrompre les mœurs de leurs esclaves avec autant de soin qu'en avaient les magistrats à corriger celles de leurs concitoyens 48 » ; « les vices publics ont plus de force pour énerver les lois que les lois n'en ont pour réprimer les vices ; et la corruption du peuple et des chefs s'étend enfin jusqu'au gouvernement [ici, .le système politique, l'ordre légal de l'Etat], quelque sage qu'il puisse être. Le pire de tous les abus est de n'obéir en apparence aux lois que pour les enfreindre en effet avec plus de sûreté 49 • » Rousseau préconise « deux règles infaillibles » pour le maintien de l'ordre démocratique établi <l:ansle domaine économique et social. L'accession de l'homme à la connaissance de ces cc deux règ!e~ » fait de lui Je maître de son propre destin pobttque et humam : cc•• .l'une est l'esprit de la loi, qui doit servir à la décision de cas que (...) la , sa~esse du gouvernement (...) n'a pas pu prevo1r; l'autre est la volonté générale, source et supplément de toutes les lois, et qui doit toujours être consultée à leur défaut 50 >>. Le parlementarisme politique n'est jamais qu'un moyen d'établir la démocratie ; il peut lui servir d'appui sans pour autant s'identifier intégralement avec elle : Comment, me dira-t-on, connaître la volonté générale dans le cas où elle ne s'est point expliquée ? Il faut d'autant moins l'assembler qu'il n'est pas sûr que sa décision fût l'expression de la volonté générale · . . , que ~~ moyen est rmpraticable dans un grand peuple, et qu 11 est rarement nécessaire quand le gouvernement est bien intentionné : car les chefs savent assez que la volonté générale est toujours pour le pacte le plus favorable à l'intérêt public, c'est-à-dire le plus équitable; de sorte qu'il ne faut qu'être juste pour s'assurer de suivre la volonté générale 51 • · Bien que cette opinion ait été exprimée en 1755, donc à une époque où l'idée du Contrat social n'avait pas trouvé chez Rousseau sa forme définitive 52 , il n'en reste pas moins que c'est dans cette formule précisément que nous découvrons l'essence même de la théorie du Contrat, ~u gouvem~ment relevant de l'économie politique. Au rituel du Contrat social, à la forme · ~ 1~ s!ructur~ juridique démocratique, doit êtr~ mtegree la foi dans le progrès de l'homme dans sa justice, dans sa liberté, à défaut de q~oi le contrat risque de rester lettre morte. Le même souci fais~it dire quelques années auparavant à M?ntesqweu que la vertu républicaine qui n'est point une « vertu morale ni une vertu chrétienne », mais une « vertu politique » incarne « l'amour de la patrie et de l'égalité» 5 ~ , 48. De l'Economie politique, II, p. 417. , 1 49. Ibid., p. 418. 'l 50. Ibid., p. 415. 51. Elle marque toutefois un progrès incontestable dans le sens de la démocratie par rapport à toute autre doctrine du Contrat social, celle de Diderot par exemple. 52. De l'Economie politique, p. 415. 53. Dans son Avertissement à !'Esprit des loû.

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