Z. JEDRYKA confédération publique repose sur l,égalité politique des citoyens, le système conventionnel de l'économie, conforme à la volonté générale et à l'intérêt général, doit « rendre la justice à tous et surtout (...) protéger le pauvre contre la tyrannie du riche 40 ». Nul membre du corps politique ne peut se soustraire à l'empire des lois régissant l'économie politique. Rousseau annonce ainsi l'incompatibilité du libéralisme économique («laissez passer, laissez faire ») avec la démocratie, avec l'économie politique «populaire». La loi souveraine de la démocratie s,impose également à tous et s'attache ainsi à détruire l'état « de riche » et « de pauvre » ; elle proscrit l'existence des ordres, des privilèges. L'égalité morale et juridique, fin du Contrat social, ne saurait survivre à l'inégalité des conditions matérielles, à l'inégalité des fortunes : il n'est pas facile à l'Etat de cc défendre les pauvres » et de « contenir les riches » ; les lois sont cc également impuissantes contre les trésors du riche et contre la misère du pauvre ; le premier les élude, le second leur échappe ; l'un brise la toile et l'autre passe au travers 41 ». Le Contrat social, s'il s'appliquait à la seule matière politique sans se préoccuper de réglementer la jouissance des biens et des intérêts publics ou privés, aboutirait rapidement à servir les intérêts des «forts » au détriment des aspirations simplement vitales des «faibles ». Aussi est-il prudent de prévenir, dès l'adoption du «gouvernement» conventionnel, les abus et la manifestation des appétits particuliers, qui se tourneraient fatalement contre ce que Jean-Jacques appelait cc la commune liberté » de tous les hommes : « La loi dont on abuse sert à la fois au puissant d'arme offensive et de bouclier contre le faible ; et le prétexte du bien public est toujours le plus dangereux fléau du peuple 42 • » Le Contrat social doit donc établir dans l' économie publique un «gouvernement» tel qu'il puisse servir les intérêts de tous et n'asservir personne en particulier. Rousseau exigeait de lui qu'il s'attaque à la source même de toutes les corruptions, dégradations, misères matérielles et turpitudes morales. Les techniques constitutionnelles du Contrat social seraient impuissantes à instaurer à elles seules le règne de la vertu, de la loi et du citoyen. Jean-Jacques souhaitait qu'elles s'ouvrissent à cc cette science sublime des âmes simples » et à cette conscience toute particulière dont il disait, dans le Discours primé à Dijon, qu'elle était le cc silence des passions». Or de telles techniques n'auraient jamais pu avoir raison des privilèges qui s'érigeaient en droits d'exception, déterminant des castes, des ordres, des corps d'élite, si elles ne s'étaient attachées à supprimer et les bases matérielles et surtout les causes sociales. Rousseau ira jusqu'à 40. De l'Economie politique, II, pp. 427-28. 41. llnd., p. 428. 42. Ibid., p. 427 · Biblioteca Gino Bianco 361 dénoncer cet affreux « assemblage d'hommes artificiels et de passions factices qui sont l'ouvrage de toutes ces nouvelles relations [imposées par l'état civil où la justice sociale n'existe pas, par une société à l'économie « libérale » où les « inégalités »économiques s'exercent sans aucune entrave, sans aucune intervention de l'Etat] et n'ont aucun vrai fondement dans la nature 43 ». SI le Contrat social crée un nouvel Etat, il s'applique avec la même énergie à élaborer une nouvelle science sociale et juridique normative. Toute loi sert la société, mais dans l'optique des droits de l'homme : c'est à travers l'homme, c'est pour le servir et le préserver éventuellement des dangers qu'il pourrait courir dans une société mal réglée, mal « policée», comme dirait Jean-Jacques; c'est pour l'homme que le pouvoir politique s'exerce. De même, l'économie publique ( ou politique, puisqu'elle vise les intérêts de tous, et non ceux de quelques-uns) tend à instaurer une nouvelle science politique normative qui serait en soi une véritable «révolution par la loi », la volonté générale du peuple souverain sanctionnant le libre exercice des droits individuels et le libre usage des biens par les particuliers ou les communautés de producteurs (paysans, artisans, manufacturiers). Le système économique préconisé par Rousseau n'est donc pas celui de l'Utopie; il ne promet pas un paradis perdu ou à réaliser par l'administration «rationnelle » des biens et des hommes ; il instaure un ordre où les droits et les libertés des citoyens s'exercent en parfaite harmonie avec les intérêts publics de l'Etat, c'est-à-dire de la communauté. L'ordre nouveau de l'économie publique serait le lieu de rencontre des intérêts de tous et des impératifs du bien commun : C'est donc une des plus importantes affaires du gouvernement de prévenir l'extrême inégalité des fortunes, non en enlevant les trésors à leurs possesseurs, mais en ôtant les moyens d'en accumuler; ni en bâtissant des hôpitaux pour les pauvres, mais en garantissant les citoyens de le devenir. Les hommes inégalement distribués sur le territoire et entassés dans un lieu tandis que les autres se dépeuplent; les arts d'agrément et de pure industrie favorisés aux dépens des métiers utiles et pénibles ; l'agriculture sacrifiée au commerce ; le publicain rendu nécessaire par la mauvaise administration des deniers de l'Etat; enfin la vénalité poussée à tel excès que la considération se compte avec les pistoles, et que les vertus mêmes se vendent à prix d'argent : telles sont les causes les plus sensibles de l'opulence et de la misère, de l'intérêt particulier substitué à l'intérêt public, de la haine mutuelle des citoyens, de leur indifférence pour la cause commune, de la corruption du peuple et de l'affaiblissement de tous les ressorts du gouvernement. Tels sont par conséquent les maux qu'on guérit difficilement quand ils se font sentir, mais qu'une sage ad.mi43. Di,cour, "'' l'inqalit,, p. 9J.
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