Le Contrat Social - anno VI - n. 6 - nov.-dic. 1962

360 selon les maximes de son propre jugement, et à n'être · pas en contradiction avec lui-même. C'est elle seule aussi que les chefs doivent faire parler quand ils commandent ; car sitôt qu'indépendamment des lois un homme prétend en soumettre un autre à sa volonté privée, il sort à l'instant de l'état civil, et se met vis-à-vis de lui dans le pur état de nature, où l'obéissance n'est 1 jamais prescrite que par la nécessité 27 • * ,,. ,,. OR le Contrat social ne condamne pas la manifestation de la « voix céleste » dans l'expression de la raison publique et la légitimité du gouvernement, mais il en fait la mesure de l'idéal, et de l'idéal seulement, sachant bien que « les délibérations publiques [sont loin d'être] toujours équitables 28 » et que parfois « autre chose est la délibération publique et autre chose la volonté générale 29 ». Là où les volontés particulières se coalisent contré l'intérêt général, là où l'esprit public n'a pas prise sur les citoyens, on doit s'attendre à la dissolution de la solidarité sociale 30 et à « la corruption des mœurs », qui fait naître « tout ce qui peut inspirer aux différents ordres une défiance et une haine naturelle par l'opposition de leurs droits et de leurs intérêts et fortifier par conséquent le pouvoir 31 qui les contient tous 32 ». Mais la délibération de l'assemblée est une chose; l'intérêt général> la défense, par tout le corps politique, de l'empire des droits et des libertés des citoyens, de la justice, en est une autre. La démocratie, selon Rousseau, ne se conçoit donc pas en dehors de l'établissement de l'égalité des conditions naturelles, car on risquerait fort, s'il en était autrement, de « maintenir le pauvre dans la misère et le riche dans son usurpation. Dans le fait, les lois sont toujours utiles à ceux qui possèdent et nuisibles à ceux qui n'ont rien : d'où il suit que l'état social n'est avantageux aux hommes qu'autant qu'ils ont tous quelque chose et qu'aucun d'eux n'a rien de trop 33 • » L'objet du Contrat social, en matière économique et sociale, n'est certes pas une « égalité des biens», selon Platon ou Morelly, de nature arithmétique, aussi tyrannique qu'idéale : Au lieu de détruire l'égalité naturelle, le pacte fondamental substitue au contraire une égalité morale et légitime à ce que la nature avait pu mettre d'inégalité 27. De l'Economie politique, I, pp. 4II-12. 28. Ibid., p. 408. 29. Ibid. 30. Rousseau appelle cela la sortie de l'état civil et la reprise de l'état de liberté naturelle dans lequel n'existent que les rapports de forces, le règne des lois s'évanouissant derechef. 31. Rousseau dit, peu de lignes avant ce passage, que les chefs peuvent tenir les « hommes rassemblés » tout en les « désunissant » et que la société peut avoir ainsi un air de « concorde apparente » où seraient semés les germes de • division réelle». 32. Discours sur l'inégalité, p. 91. 33. Note B, Contrat social, I, IX, § v, p. 20. Biblioteca Gino Bianco ANNIVERSAIRES physique entre les hommes, et, pouvant être inégaux en force ou en génie, ils deviennent tous égaux par convention et de droit 34 • Dans l'état de démocratie, il ne suffit donc pas d'être l'égal de son prochain par « convention » politique (tous libres, tous égaux, tous membres du Souverain...), mais il faut encore étendre l'empire de la loi au domaine public « des biens et des intérêts particuliers ». Le respect de ces règles constitutionnelles évite que la somme des volontés particulières ne devienne la somme des intérêts privés, et garantit que la volonté générale ne « regarde qu'à l'intérêt· comm~»: On a beau vouloir confondre l'indépendance et la liberté, ces deux choses sont si différentes que même elles s'excluent mutuellement. Quand chacun fait ce qui lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît aux autres, et cela ne s'appelle pas un Etat libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu'à n'être pas soumis à celle d'autrui ; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d'autrui à la nôtre 35 • La liberté, comme la justice, n'est l'apanage d'aucune classe, d'aucun corps, d'aucune brigue qui pourraient se former dans l'Etat : Dans tout Etat, la loi parle où parle le souverain. Or, dans une démocratie où le peuple est souverain, quand les divisions intestines suspendent toutes les formes et font taire toutes les autorités, la sienne seule demeure : et où se porte alors le plus grand nombre, là résident la loi et l'autorité 36 • Dans le même esprit, on pourrait avec àpropos diviser l'économie publique en « populaire et tyrannique ». La technique du Contrat social employée dans le « gouvernement », l'administration des biens et des intérêts publics et de cette partie des biens et des intérêts privés dont la valeur importe à la communauté, crée un climat favorable à l'instauration de l'économie populaire. Elle est, plus précisément, celle. « où règne entre le peuple et les chefs unité d'intérêt et de volonté»; l'économie tyrannique, en revanche, « existera nécessairement partout où le· gouvernement et le peuple auront des intérêts différents et par conséquent des volontés oppo- . sées 37 ». L'économie politique doit satisfaire aux principes conventionnels de la société étatique « afin que la faiblesse particulière [soit] toujours protégée par la force publique et chaque membre par tout l'Etat 38 ». Personne ne peut se prévaloir de mérites particuliers pour vivre à l'écart de l'Etat, la « sûreté particulière » étant intimement liée à la confédération publique 39 • Comme la , 34. Du contrat social, I, IX, in fine. 35. Lettres ..., partie II., lettre VIII., pp. 418-19. 36. Ibid., pp. 379-80. 37. De l'Economie politique, Introduction., vers la fin., p. 410. 38. Ibid., II, p. 425. 39. Cf. ibid., p. 424.

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