Z. JEDRYKA « ordre naturel et essentiel >> des sociétés humaines, et aussi sur l'état mercantile de «corruption». C'est par le respect des lois que le citoyen devient libre; c'est par la liberté de tous que la société réalise la justice pour tous : Je ne connais de volonté vraiment libre que celle à laquelle nul n'a droit d'opposer de la résistance; dans la liberté commune, nul n'a droit de faire ce que la liberté d'un autre lui interdit, et la vraie liberté n'est jamais destructrice d'elle-même. Ainsi la liberté sans la justice est une véritable contradiction ; car comme qu'on s'y prenne, tout gêne dans l'exécution d'une volonté désordonnée 16 • L'Etat est près de sa dissolution lorsqu'on doit concilier «des choses presque incompatibles, les droits du Peuple et les prétentions du Conseil 1 7 , l'empire des lois et la puissance des hommes 18 », en « faisant servir la moitié des (...) lois à violer l'autre 19 ». Le Contrat social proscrit l'assujettissement d'une partie de la nation à une autre ; il apporte la liberté aux hommes justes, la justice aux hommes libres. Comme «ce n'est pas à des esclaves qu'il appartient de raisonner de liberté 20», la plus aveugle obéissance étant la seule vertu qui reste à ceux-ci 21 , il faut être libre pour connaître le prix de la liberté. La liberté est l'attribut du vrai citoyen, comme elle est le privilège accordé à tous par l'Etat démocratique : ce n'est que par la libre obéissance aux lois qu'on s'affranchit de la dépendance des autres - la loi a pour objet le bien public et elle cesse d'être juste et légitime si l'intérêt général n'est pas respecté par tous les membres du Souverain. Etre libre, cela signifie soumettre sa volonté particulière à la volonté générale chaque fois qu'il s'agit d'un objet d'intérêt commun ; cela signifie aussi se conformer aux règles de la justice et savoir s'incliner devant la légitimité de l'ordre établi, «puisqu'il n'est pas possible que le corps se veuille nuire à lui-même, tant que le tout ne veut que pour tous 22 ». La logique, toute morale, du Contrat social ne permet pas que certains membres du corps social soient soumis aux lois et que les autres obéissent à leurs maîtres ou à leurs passions : « Les citoyens voudront garder leur liberté ; les sujets ne songeront qu'à l'ôter à leurs voisins, ne pouvant souffrir que d'autres jouissent d'un bien dont ils ne jowssent plus eux-mêmes 23 • » La justice est l'œuvre des hommes libres et l'attribut de la liberté. En effet, dans un Etat où coexistent le riche et le pauvre, le maître et l'esclave, les uns « n'estiment les choses dont 16. Lettres icrites de la Montagne, partie Il; lettre VIII, M. Dcsenne, pp. 419-20. 17. Ici, le corps des gouvernants, des magistrats. 18. Lettre1 ... , p. 411. 19. Ibid. 20. Discours sur l'in,galiti, p. 85. 21. Cf. ibid., p. 91. 22. Lettre, ... , partie I, lettre IV, p. 365. 23. Di1cour, ,ur l'inigalit,, p. 87. Biblioteca Gino Bianco 359 ils jouissent qu'autant que les autres en sont privés et, sans changer d'état, ils cesseraient d'être heureux si le peuple cessait d'être misérable 24 ». C'est ainsi que « les sujets n'ayant plus d'autre loi que la volonté du maître, ni le maître d'autre règle que ses passions, les notions du bien et les principes de la justice s'évanouissent derechef 25 ». Dans l'Etat démocratique de Rousseau, la justice n'est pas un privilège accordé aux humbles et aux faibles ; elle est synonyme du « gouvernement » politique et économique où tous les citoyens sont maîtres de leur propre destin, souverains, libres et égaux devant la loi. La justice est le prix de la liberté de tous, sa garantie. Lorsque la justice fait défaut dans l'Etat, la liberté des citoyens est subordonnée aux intérêts, aux passions et aux appétits des plus forts : •..les citoyens ne se laissent opprimer qu~autant qu'entraînés par une aveugle ambition; et regardant plus au-dessous qu'au-dessus d'eux, la domination leur devient plus chère que l'indépendance et( ...) ils consentent à porter des fers pour en pouvoir donner à leur tour. Il est très difficile de réduire à l'obéissance celui qui ne cherche point à commander et le politique le plus adroit ne viendrait pas à bout d'assujettir des hommes qui ne voudraient qu'être libres 26 • Le Contrat social, instrument de liberté, est ainsi l'œuvre d'hommes qui ont subordonné leurs ambitions personnelles aux intérêts de la communauté : la justice sociale est le levier de la puissance publique de l'Etat démocratique et, nous le verrons, la base essentielle de l' économie politique populaire. L'ordre de la justice est l'ordre de la liberté, des libertés en ce sens qu'il est le lieu où se rencontrent et se superposent les libertés du plus grand nombre, sinon les libertés de tous. La justice est la liberté codifiée et institutionalisée qui garantit la participation de tous au pouvoir, l'autorité de la loi, le respect de la souveraineté populaire : ,Par quel art inconcevable a-t-on pu trouver le moyen d'assujettir les hommes pour les rendre libres; d'employer au service de l'Etat les biens, les bras et la vie même de ses membres, sans les contraindre et sans les consulter; d'enchaîner leur volonté de leur propre aveu, de faire valoir leur consentement contre leur refus, et de les forcer à se punir eux-mêmes quand ils font ce qu'ils n'ont pas voulu ? Comment se peut-il faire qu'ils obéissent et que personne ne commande, qu'ils servent et n'aient point de maître ; d'autant plus libres, en effet, que, sous une apparente sujétion, nul ne perd de sa liberté que ce qui peut nuire à celle d'un autre ? Ces prodiges sont l'ouvrage de la loi. C'est à la loi seule que les hommes doivent la justice et la liberté; c'est cet organe salutaire de la volonté de tous qui rétablit dans le droit l'égalité naturelle entre tous les hommes ; c'est cette voix céleste qui dicte à chaque citoyen les préceptes de la raison publique et qui apprend à agir 24. Ibid., p. 90. 25. Ibid., p. 91. 26. Ibid., p. 89.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==