Le Contrat Social - anno VI - n. 6 - nov.-dic. 1962

B. DE JOUVENEL du corps des citoyens, ce serait « relâchement de la souveraineté », expression que nous rencontrerons plus loin. Sur la forme du Gouvernement VOYONSmaintenant ce Gouvernement, dont les membres n'ont « absolument qu'une commission, un emploi », sont de « simples officiers du souverain 12 ». Ce Gouvernement est luimême un corps de magistrature, et Rousseau admet qu'il est susceptible de diverses formes, dont l'énoncé est classique: Démocratie, Aristocratie, Monarchie. 11 dit à ce sujet : Les diverses formes dont le gouvernement est susceptible se réduisent à trois principales. Après les avoir comparées par leurs avantages et leurs inconvénients, je donne la préférence à celle qui est intermédiaire entre les deux extrêmes, et qui porte le nom d'aristocratie. On doit se souvenir ici que la constitution de l'Etat et celle du gouvernement sont deux choses très distinctes et que je ne les ai point confondues. Le meilleur des gouvernements est l'aristocratique ; la pire des souverainetés est l'aristocratique 18 • Si le Contrat était uniquement un ouvrage doctrinal, il ne resterait rien à dire. Le pouvoir législatif appartient au corps entier des citoyens, qui ne saurait le déléguer, mais il a des commissaires, moins nombreux que le corps des citoyens, nombreux encore pourtant, qui exercent la puissance exécutive. Voilà tout. Or c'est ici que s'attache une théorie dynamique des formes de gouvernement. J'en donnerai, à titre provisoire, un exposé très grossier : à mesure que le corps des citoyens s'élargit, la participation est moins prisée, moins active, et du même coup le sujet devient moins docile ; cette moindre docilité appelle dans le Gouvernement une plus grande force répressive, qui elle-même exige une concentration du 'Gouvernement ; dont il suit que, par la cohérence croissante du Gouvernement confrontée à la cohérence décroissante du corps . des citoyens, le Gouvernement, qui a évolué dans sa forme vers le pouvoir d'un seul, évolue dans son rap-. port avec le Souverain vers l'usurpation de la souveraineté. Je demande qu'on ne juge pas la théorie sur cette analyse sommaire. Nous allons l'examiner en détail. Mais si insuffisante que soit l'expression donnée ci-dessus, elle fait sentir qu'il y a là une contribution importante à la science politique positive. Pour apprécier son originalité, il convient de se reporter à Montesquieu. 12. Contrat, liv. III, chap. 1er. 13. Monta,,N, partie I, lcttte VI. Biblioteca Gino Bianco • 345 Forme du Gouvernement et distance cha Montesquieu M0NTESQUŒUa une théorie des formes de gouvernement selon l'étendue territoriale 14 : Il est de la nature d'une république, qu'elle n'ait qu'un petit territoire : sans cela elle ne peut guère subsister (XVI). Un état monarchique doit être d'une grandeur médiocre. S'il était petit, il se formerait en république ; s'il était fort étendu, les principaux de l'Etat, grands par eux-mêmes, n'étant point sous les yeux du prince, ayant leur cour hors de sa cour, assurés d'ailleurs contre les exécutions promptes par les loix et par les mœurs, pourraient cesser d'obéir; ils ne craindraient pas une punition trop lente et trop éloignée (xvu). Un grand empire suppose une autorité despotique dans celui qui gouverne. Il faut que la promptitude des résolutions supplée à la distance des lieux où elles sont envoyées ; que la crainte empêche la négligence du gouverneur ou du magistrat éloigné (xrx). Que si la propriété des {)etitsEtats est d'être gouvernés en république, celle des médiocres d'être soumis à un monarque, celle des grands empires d'être dominés par un despote; il suit que, pour conserver les principes du gouvernement établi, il faut maintenir l'Etat dans la grandeur qu'il avait déjà; et que cet Etat changera d'esprit, à mesure qu'on rétrécira, ou qu'on étendra ses limites (xx). Il est clair ici que la variable en raison de laquelle change la forme de gouvernement, c'est la surface physique. Dans le texte de Montesquieu, les mots de cc distance », d' cc éloignement», sont les clefs : l'auteur pense visiblement en termes de communications et transports. Les , gouverneurs d'un grand Etat savent mal ce qui se passe dans une province éloignée, qu'ils visitent rarement, voire jamais (et d'ailleurs, si ces gouverneurs sont nombreux, membres d'un collège, tout au plus une faible minorité du collège aura connaissance de cette province reculée). En raison du coût des déplacements, les messages parvenant à la capitale sont ceux des puissants locaux, et donc l'information n'est · pas seulement insuffisante et tardive, mais encore elle est partiale. La capitale connaîtra mal les abus qui se commettent, et même s'ils sont connus la complexité du gouvernement central pourra mettre obstacle aux remèdes désirables, tandis que ~a douceur des mœurs dans un gouvernement légal s'opposera aux punitions. Lorsque des événements se produisent, ils sont connus dans la capitale avec un certain délai ; il en faut un autre pour arrêter des mesures, et d'autant plus long que la complexité du gouvernement est plus grande. Les mesures prises seront donc toujours en retard sur les événements, et on n'exécutera que lentement celles qui eussent été efficacesplus tôt. S'il faut envoyer des forces sur place, c'est encore affaire de temps. Donc, 14. Montesquieu : Esprit du loix, liv. VIII; les num&oa des chapitres sont donnb dans le texte de la citation.

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