Le Contrat Social - anno VI - n. 6 - nov.-dic. 1962

344 - peuple et non un gouvernement 7 • Il n'y a rien de si faible dans tout l'ouvrage que l'argumentation en ce sens. Et comment serait-elle probante ? Quel moyen de trouver quel a été le caractère d'un contrat qui est de pure imagination ? Il n'y a rien de certain à son sujet, sinon qu'il n'a point eu lieu. Heureusement, Rousseau s'échappe vite de ces rêveries méta-juridiques, servi par sa connaissance du cœur humain: il entre dans son vrai sujet, non pas le Contrat social, mais l'affection sociale. Il faut nécessairement que l'homme soit sujet, et cela est pénible : qui l'a mieux senti que JeanJacques ? Mais la chose est d'autant moins pénible que la règle à quoi l'homme est soumis lui est plus étrangère. Elle ne cesse pas de lui être étrangère, Rousseau le soutient avec force, et à raison, si elle est édictée en vertu d'un mandat général confié par le sujet : il faut que l'homme ait lui-même participé à l'élaboration de la règle, l' «_administré » doit être « législateur ». Nous voilà passés de la fiction juridique à la réalité psychologique: c'est ce qui fait la magie du livre. Le problème sera de ·rester dans cette réalité psychologique. La forme d'associati<;>nregardée par Rousseau çomme seule légitime est celle où les associés « prennent collectivement le nom de peuple, et s'appellent en particulier citoyens comme participant à l'autorité souveraine, et sujets comme soumis aux loix de l'Etat 8 ». Le mot de participation est essentiel : il faut que la participation soit effective. Chez Rousseau, l'affirmation que le Peuple est le Souverain a un sens concret, il ne s'agit pas d'une fiction dont on pourra tirer aussi bien le pouvoir illimité d'un Bonaparte que le pouvoir illimité d'une Assemblée; il s'agit d'affirmer que les lois ne peuvent être édictées que par l'Assemblée générale des citoyens 9 , qui a le Pouvoir législatif, ou plutôt est le Pouvoir législatif, de sorte que celui-ci, par définition, ne saurait être délégué. On a souvent dit que Rousseau se représentait les choses comme dans les cités grecques : ce n'est vrai qu'en partie. Oui, comme dans les cités grecques, il veut voir le corps des citoyens effectivement assemblé sur la place publique, et seules les voix des présents peuvent être comptées. Mais, à la différence des cités grecques, il ne se représente point le Peuple prenant les 7. Rousseau a ici une dette envers· 'Pufendorf, qui avait distingué dans la convention primitive un « pacte d'union » précédant un décret sur la forme du gouvernement et une convention de soumission à ce gouvernement. Cela est bien souligné par Derathé. 8. Contrat, liv. I, chap. VI. 9. Il faut naturellement que ces lois soient simples, .peu nombreuses, et qu'elles aient un objèt général,.:. les. deux premières conditions sont pratiques, la troisième est de principe et mérite la plus attentive méditation,· mais..\,ce n'est pas mon sujet. · -·---- ,_ Biblioteca Gino Bianco ANNIVERSAIRES décisions de circonstance. Ceci, pour Rousseau, est l'affaire du Gouvernement, dont le Peuple ne doit point se charger : faut-il rappeler que Rousseau pensait le plus grand mal d'Athènes ? La distribution des rôles entre le Peu_Ple,qui est souverain, et le Gouvernement, qw exerce une « commission », est énoncée dans le passage suivant: . Nous avons vu que la puissance législative appartient au peuple, et ne peut appartenir qu'à lui. Il est aisé de voir, au contraire, par les principes ci-devant établis, que la puissance exécutive ne peut appartenir à la généralité comme législatrice ou souveraine, parce que cette puissance ne consiste qu'en des actes particuliers, qui ne sont point du ressort de la loi, ni par conséquent de celui du souverain, dont tous les actes ne peuvent être que des lobe. Il faut donc à la force publique un agent propre qui la réunisse et la mette en œuvre selon les directions de la volonté générale, qui serve à la communication de l'Etat et du souverain, qui fasse en quelque sa.lie dans la personne publique ce que fait dans l'homme l'union de l'âme et du corps. Voilà quelle est, dans l'Etat, la raison du gouvernement, confondu mal à propos avec le souverain, dont il n'est que le ministre. Qu'est-ce donc que le gouvernement ? Un corps intermédiaire établi entre les sujets et le souverain pour leur mutuelle correspondance, chargé de l'exécution des lobe et du maintien de la liberté, tant civile que politique 10 • Ainsi, les particuliers qui sont citoyens exercent collectivement leur souveraineté lorsqu'ils sont réunis en Assemblée générale, convoquée de temps à autre, et ils obéissent habituelle- · ment comme sujets au Gouvernement, qui est un corps permanent, chargé de l'exécution des lois et des mesures de circonstance. De là deux rapports de subordination : subordination du Gouvernement aux citoyens en corps, et subordination du sujet au Gouvernement. Ce que dit Rousseau de l'évolution de ces deux rapports constitue mon sujet. Rousseau n'admet qu'une souveraineté, celle du Peuple, c'est-à-dire du corps des citoyens, laquelle n'est réelle qu'autant que ce corps _exercele pouvoir l_égislatif.Et il précise : \ Le pouvoir législatif consiste en deux choses inséparables : faire les loix, et les maintenir; c'est-à-dire avoir inspection sur le pouvoir exécutif. Il n'y a point d'Etat au monde où le souverain n'ait cette inspection. Sans cela toute liaison, toute subordination manquant entre ces deux pouvoirs, le dernier ne dépendroit pas de l'autre; l'exécution n'auroit aucun rapport nécessaire aux loix ; la loi ne seroit qu'un mot, et ce mot ne ~ignifieroit :,;ien.~~- :.· . Si l'inspection. du ·corps des citoyens sur le pouvoir. : ·exécutif ·deve~ait moins.. vigilante, si çe porivôi~ ~x~cuti~ -~ëyenajt plus i~<:iépendant ' - . . . .! . 10. C~ntrat, liv: III, cbap. 1er. .. 1 I. Lettre1 lcrite1 de la Montagne, partie li, lettrè vn.

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