N. VALENTINOV La théorie de Préobrajenski, dont Piatakov et quelques autres trotskistes s'emparèrent aussitôt, n'attira pas l'attention en dehors de ce petit cercle ni en 1923 ni en 1924. Mais lorsqu'en 1925 se posa, en même temps que la « construction du socialisme dans un seul pays », la question des moyens nécessaires à l'accumulation, cette théorie, qui précisait avec cynisme la manière de se procurer ces moyens, ne pouvait pas ne pas être discutée. Les droitiers - cela leur fait honneur - accueillirent avec stupeur les conceptions de Préobrajenski. Rykov déclara : Cette théorie est révoltante. Préobrajenski cherche à nous convaincre que le socialisme doit être construit au moyen de l'accumulation primitive. Peut-on concevoir quelque chose de plus néfaste pour le socialisme ? Nous n'arrivons pas à établir des échanges équivalents entre la ville et la campagne, entre l'industrie et l'agriculture. Nous sommes fatalement amenés à rompre cette équivalence, à confisquer les revenus de la campagne, mais cela ne doit pas consister à sucer la dernière goutte de sang du paysannat, à «dévorer» la campagne, comme le prône Préobrajenski avec tant d'insistance. Pour lui, la campagne est la vache à lait de l'industrie. Dans une brochure publiée en 1925, Une nouvelle découverte sur l'économie soviétique ou l'art de porter un coup mortel au bloc ouvrier et paysan, Boukharine critique très vivement cette théorie, qualifiant de « monstrueuses » les conceptions de Préobrajenski et soulignant à juste titre que l'analyse est « fondée sur une analogie avec la période de ]'accumulation primitive». Que veut Préobrajenski ? demande Boukharine, et il répond : il veut que, se transformant en exploiteur, « la classe ouvrière monte sur le dos des petits producteurs ». Les jeunes professeurs rouges de l' « école » de Boukharine critiquèrent dans le même sens la théorie de Préobrajenski; Dzerjinski la combattit également au C.S.E.N., prenant position contre son adjoint Piatakov, lequel, d'accord avecPréobrajenski, voulait obtenir l'accumulation en portant les prix de la production industrielle aux niveaux les plus hauts, les plus désavantageux pour le paysannat. Signalons qu'en 1925, Staline repoussait lui aussi cette théorie, déclarant qu'elle « n'avait rien de commun avec la politique du Parti ». Mais quatre ans plus tard, la théorie de Préobrajenski fut, sous une forme encore plus monstrueuse, adoptée intégralement par Staline et érigée en loi fondamentale de la ligne générale. Staline fonda l'accumulation et la construction du socialisme dans un seul pays au moyen des plans quinquennaux sur le « tribut» (le mot est de lui) prélevé sur les paysans à l'aide de méthodes draconiennes. Devant cette situation, le 9 février 1929, Boukharine, Rykov et Tomski, dans un appel adressé au Comité central, déclarèrent que la ligne suivie J?ar Staline équivalait à « une politique d'exfloitatton féodale-militaire du patisannat » et qu ils la rejetaient catégoriquement 1 • 11. La presse eut connaissance, par le discours que Staline prononça au C.C. d'avril 1929 aur la • dtviation do Biblioteca Gino Bianco 335 La droite, maintenant avec logique et continuité la position adoptée en 1925, repoussa en termes indignés la théorie de Préobrajenski. Elle n'ignorait pas que sans accumulation, sans fonds d'investissement, sans dépenses de premier établissement, on ne pourrait pas donner l'impulsion nécessaire à l'économie ; mais elle ne voulait pas pour autant que l'accumulation prît le caractère d'une exploitation impitoyable du paysannat, des petits producteurs et de la population tout entière. Les conceptions de la droite dans ce domaine furent maintes fois exposées au cours de l'année 1925, puis notamment dans un article de Maretski paru en 1926 dans le n° 18 du Bolchévik. Critiquant l'opposition trotskiste, Maretski écrivait: La ligne que suit le Parti dans sa politique industrielle tend à développer de façon méthodique et systématique la grande et la petite industrie, à consacrer une part de plus en plus importante de crédits aux fonds d'investissement en vue d'accélérer obligatoirement le rythme de l'industrialisation, mais ceci de telle manière qu'en même temps soit nécessairement accrue la production des objets de consommation. Nous ne pouvons pas développer la construction des grands travaux au détriment de cette production. Cela reviendrait à forcer le rythme de l'industrialisation au prix d'un abaissement du niveau de vie des masses laborieuses.( ...) Plus les normes de l'accumulation sont élevées, plus celles de la consommation sont faibles. L'accumulation nécessaire au développement de l'économie exigeant un accroissement de la production devait être, selon la droite, accompagnée de ce qu'on a appelé « la libération de la circulation marchande». La résolution de la ' 14e Conférence, rédigée par Boukharine, contenait ce passage : On développera nécessairement la circulation marchande dans toutes les branches de l'économie, y compris la campagne. Une circulation marchande plus rapide entraînera une accélération du rythme de l'accumulation dans l'économie tout entière et un accroissement relatif et absolu de plus en plus grand des secteurs - socialistes 12 • Boukharine et ses adeptes soulignaient que l'obstacle le plus important, le plus néfaste à la « libération de la circulation marchande » étaient les conceptions, les survivances, les méthodes du communisme de guerre. Un des droite », de la déclaration que Boukharine, Rykov et Tomski envoyèrent au Comité central. Le compte rendu officiel ne mentionnait pas la déclaration de la droite critiquant la politique de Staline comme • une exploitation féodalemilitaire des paysans». Cette déclaration ne figure pas non plus dans la 98 éd., parue en 1932, des Questions du Léninisme. Elle a paru beaucoup plus tard, quand furent rétablies une trentaine de pages qui, à l'époque, n'avaient pas été publiées. Le discours de Staline ne fut reproduit entièrement que dans la 11• éd. des Questio,is du Ltm·msm, parue en 1952. 12. L, P.C. de l'Union sOtJiltiqu, à travers les rlsolutions et düin·ons des congris, des co,iflrmces et des assembll,s pllnüru du Comitl central, 7• ~-, 19S4, 2• part., p. 132.
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