Le Contrat Social - anno VI - n. 6 - nov.-dic. 1962

332 . Adoptant la théorie de « la construction du socialisme dans un seul pays », la droite aborda ce problème avec beaucoup de réalisme. Lénine l'avait posé en termes dogmatiques et métaphysiques. En disant que l'U.R.S.S. avait tout pour construire le socialisme, Lénine, éludant les conditions objectives, n'énumérait pas les richesses naturelles, les taux de développement économique et le niveau technique indispensables à cette construction. Dans ses notes : « A propos de notre Révolution», écrites le 17 janvier 1923, et insérées elles aussi avec un grand retard dans la Pravda (le 30 mai seulement), Lénine ironisait sur les « savants messieurs » qui, demeurés sous l'empire des vieux clichés, jugeaient nécessaires des conditions économiques objectives pour réaliser le socialisme. Contrairement à Lénine et considérant que cette phrase, selon les paroles de Rykov, avait été écrite « surtout pour consoler le Parti», la droite, en posant la question de « la construction du socialisme dans un seul pays », estimait qu'il fallait tenir particulièrement compte des conditions économiques objectives existant en U.R.S.S. Mais l'ensemble de ces conditions économiques et techniques, examinées au cours de nombreuses réunions du Politburo dès la fin de 1924 et le début de 1925, fit apparaître un tableau très sombre. Aussi bien, Zinoviev et Kaménev exprimèrent leur conviction qu'en raison de son immense retard technique, l'U.R.S.S. ne pourrait pas, sans l'aide du prolétariat international et de la révolution mondiale, instaurer le socialisme. La droite adopta au Politburo une position différente. Admettant que l'absence de conditions économiques et techniques favorables rendait très difficile la construction du socialisme, Boukharine déclara, au nom des droitiers, que de toute façon les communistes ne pourraient construire autre chose que le socialisme, qu'ils le construiraient même si l'on devait « avancer à pas de tortue ». Les discussions au Politburo n'ont jamais été publiées; toutefois, le discours que Boukharine prononça au XIVe Congrès en donne une idée : Nous ne mourrons pas de notre retard technique ; nous construirons le socialisme, même sur la base de notre pauvreté, nous avancerons à pas de tortue, mais néanmoins nous le construirons. A ce propos, un vif débat s'est déroulé au Politburo, notamment lors de la 14 e Conférence. Kaménev et Zinoviev défendaient une position selon laquelle nous ne pourrions pas construire de fond en comble le socialisme à cause de notre retard. Nous avons contesté avec passion l'opinion que nous devions mourir de ce retard 1 • Plus tard, Trotski et ses adeptes (et parmi eux Zinoviev et Kaménev) répondirent qu'à pas de tortue on ne constrwrait jama,is le socialisme, car tant que le capitalisme ne serait pas I. Compte rendu sténographique du XIVe Congrès, pp. 135-36. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL renversé en Europe, il étoufferait ou désintégrerait le socialisme d'une manière ou d'une autre, grâce notamment au contrôle du marché mondial dont !'U.R.S.S. était entièrement tributaire. Contestant la possibilité de construire le socialisme dans un seul pays sans révolution mondiale préalable, les trotskistes (Piatakov et Préobrajenski) se mirent, dès 1925, à modifier leur conception, la complétant de façon très substantielle : en admettant, disaient-ils, que la construction du socialisme dans un seul pays soit possible, ce n'est point à « pas de tortue » qu'on devra avancer, mais à la vitesse maximale, en forçant les rythmes de la construction, en tendant toutes les énergies de la nation, en s'efforçant, « dans un délai minimal, de rattraper, puis de dépasser le niveau industriel des pays capitalistes avancés». Tels étaient les termes de la résolution de la 15e Conférence, tenue du 26 octobre au 3 novembre 1926. Rédigée sous l'influence de l'idéologie trotskiste, elle put être adoptée parce que la doctrine de la droite avait déjà perdu de son emprise. En 1925, les droitiers considéraient avec méfiance, voire avec hostilité, l'idée de « forcer les rythmes », car cette méthode, appliquée sous le communisme de guerre, avait conduit à une situation catastrophique dont on avait dû sortir par la nep. Le rejet des << rythmes accélérés» trop pénibles pour le pays, des méthodes· de construction socialiste appuyées sur des moyens révolutionnaires, montrait que l'état d'esprit de la droite avait profondément changé. Elle s'était imprégnée de «réformisme ». La droite rappelait sans cesse qu'il fallait suivre les ultimes recommandations de Lénine : «Avancer avec infiniment, avec considérablement plus de lenteur que nous l'avions rêvé 2 »,«cesser de nous énerver, de crier, de nous agiter 3 », nous mettre bien dans la tête qu'aujourd'hui on a besoin non pas de « méthodes révolutionnaires », mais d' « actes réformistes » et d'une « approche » non moins réformiste du problème de la réalisation du socialisme 4 • A qui pensons-nous en parlant des fondateurs de la doctrine de droite ? A Boukharine, évidemment. Par ses déclarations au XIVe Congrès, nous savons qu'on lui doit les principaux points des résolutions de la 14 e Conférence, d'où il ressort que les idées de la droite l'emportèrent. Pour ceux qui se sont rangés sous la bannière de Trotski, et plus tard sous celle de Staline, Boukharine était une figure odieuse. Au XIVe Congrès, Zinoviev disait : Boukharitie veut imposer au Parti son point de vue. Notre devoir à tous est de dire : non. Autour de Boukha2. V. I. Lénine : Œuvres complètes, 4e éd., t. 34, p. 243. 3. Ibid., p. 255. 4. Ibid., pp. 86-87.

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