Le Contrat Social - anno VI - n. 6 - nov.-dic. 1962

BO()KHARINE, SA DOCTRINE, SON «ÉCOLE» par N. Valentinov DANS l'histoire de l'Etat soviétique, il y a une période particulièrement intéressante à laquelle on a consacré peu d'attention dans l'énorme quantité d'écrits se rapportant à !'U.R.S.S. Le début de cette période se situe en 1924, la fin, au milieu de 1926, et son apogée, en 1925. Cette époque fut nettement et profondément marquée par la « doctrine » du communisme de droite et par le rôle primordial des droitiers dans le groupe dirigeant du Parti et de l'Etat. En vain chercherait-on un exposé complet de cette doctrine, qui n'a pas été formulée sous une forme systématisée ; on en trouve quelques éléments dans des décisions du Parti, notamment dans les résolutions du Comité central et de la 14° Conférence d'avril 1925, dans des journaux, dans divers recueils et dans les discours de certains dirigeants. Ajoutons qu'un état d'esprit particulier accompagnait la doctrine des droitiers et leur influence. Faute de connaître cet état d'esprit, on n'arriverait pas à comprendre le communisme de droite. On peut même dire que cette droite ne se serait point cristallisée si cet état d'esprit n'en avait pas créé la condition préalable dans la fraction dirigeante du Parti. A la suite de quels événements cette doctrine vit-elle le jour ? Conformément à leur conce{>tion de la révolution, les dirigeants avaient touJours pensé que la condition essentielle de la construction du socialisme en Russie était l'aide de la révolution mondiale, tout d'abord de la révolution prolétarienne en Europe. Mais en 1924, après la défaite de la révolution allemande, il devint évident que la révolution ne pourrait triompher sur le continent européen dans les prochaines années. En même temps, la possibilité de construire le socialisme en Russie semblait évanouie. Et cette déduction engendrait dans le Parti désarroi et incertitude : quelle politique fallait-il mener et quel avenir avait-on devant soi ? Biblioteca Gino Bianco L'article de Lénine sur la coopération, écrit les 4-6 janvier 1923, tira le Parti d'embarras. Les dirigeants n'y prêtèrent tout d'abord guère attention : on ne se hâta pas de le publier et il ne parut dans la Pravda que les 26 et 27 mai, après qu'une troisième attaque eut frappé Lénine. On n'attacha d'importance à cet article ni en 1923 ni au début de 1924, mais on s'y accrocha des deux mains dans la seconde moitié de 1924 parce que précisément les espoirs de révolution prolétarienne en Europe s'étaient dissipés. Cet article fut un baume théorique très actif pour la tête troublée des dirigeants. Contrairement à ce qui a été jusqu'alors accepté comme vérité intangible, Lénine déclare que !'U.R.S.S. possède « tout ce qui est nécessaire et en quantité , suffisante pour construire la société socialiste intégrale ». Il y a la dictature du prolétariat, la socialisation des moyens de production, l'alliance avec les paysans et le fait que ceux-ci sont dirigés par le prolétariat - il ne manque que la coopération et l'intégration de la population dans ce mouvement. Mais « au mieux », on pourra obtenir qu' « en une ou deux décennies », la population ,participe au mouvement coopératif. Dans cette perspective, la question de la révolution prolétarienne en Europe et des conditions favorables à la construction du socialisme en U.R.S.S. perdait de son acuité. Du moment que nous avons tout pour construire le socialisme, nous le construirons même s'il n'existe pas et n'est pas près d'exister dans d'autres pays. Une résolution en ce sens, adoptée à la 14° Conférence tenue du 27 au 29 avril 1925, fut regardée comme « un des principaux documents du Parti ». Toutefois il ne s'agissait pas d'une décision émanant de la Conférence, mais d'une approbation des thèses soumises par le Comité central au Comité exécutif de l'Internationale communiste : polémisant contre Trotski et se référant à Lénine, elles déclaraient que la construction du socialisme en U.R.S.S. était possible sans révolution en Europe et sans « aide gouvernementale » de pays dirigés par le prolétariat.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==