Le Contrat Social - anno VI - n. 6 - nov.-dic. 1962

B.D. WOLFE ne furent pas délégués ou réélus au nouveau Comité. De nos jours, l'épuration rappelle celle des périodes « bénignes » de Staline ou celles du temps de Lénine. Cependant la liquidation de Béria et de vingt-cinq au moins de ses collaborateurs montre que la technique de l'épuration sanglante n'est pas oubliée et qu'on la tient en réserve. N u1 doute que les militants ne respirent et se réjouissent du nouveau rituel adopté dans la lutte pour les postes de direction. Mais rien ne décèle que la « base » ait exigé, ou aurait pu exiger ce ch?lngement d'attitude, ou qu'elle se serait risquée à le faire. La terreur exercée sur la société dans son ensemble s'est également atténuée. Il n'y a plus à exécuter aujourd'hui d'opérations aussi sanglantes que la collectivisation forcée. Obéissance ancrée dans les mœurs, amnisties et concessions de l'interrègne, pénurie d'effectifs dans l'industrie, l'agriculture et l'armée en raison de l'expansion économique et du déficit des naissances dû à la guerre - tout cela, entre autres, explique que les artistes et les écrivains, les ouvriers, les paysans et les directeurs d'entreprise n'aient pas en ce .moment l'impression qu'un blâme public (auquel ils sont prompts à prêter l'oreille) doive nécessairement être suivi d'arrestation et conduire au camp de concentration. La pénurie de main-d'œuvre fait que le travail forcé est la manière la plus coûteuse et la moins productive d'utiliser un homme. Les bagnes sont devenus moins sinistres et moins nombreux, mais ils existent toujours. La loi sous le despotisme . LA POLICE a été rappelée à l'ordre, et, comme le régime ne saurait se passer de la force brute, l'armée a un surcroît de prestige ; autrement dit, elle a vu accroître ses fonctions politiques à l'intérieur. Les pouvoirs du ministère public au cours de l'instruction et des procès ont été renforcés, ce qui revient à confier au renard la garde du poulailler. En outre, quelques réformes de moindre importance ont été introduites en matière de législation; en particulier, il a été fait beaucoup de bruit autour d'une promesse de codification et de régularisation des lois. Le nouveau code avait été mis en chantier dans les derniers mois de la vie de Staline. Alors que paraissait monter l'étoile de Béria, celui-ci avait donné l'assurance qu'il serait mis en application « sous soixante jours ». Sans être devin, on peut prédire que le nouveau code ne touchera pas aux fondements de l'Etat totalitaire, qu'il ne modifiera pas la subordination des tribunaux, des lois, de la magistrature et de la police aux volontés de l'oligarchie ou du dirigeant unique. Un pouvoir total tquel ~qu'il soit, a fortiori un pouvoir totaliste, peut fort bien obéir à ses propres lois, quand cela lui convient, sans pour autant se croire tenu de s'y soumettre. Biblioteca Gino Bianco 327 Un pouvoir à la fois législatif, administratif, juridique, qui veille à l'application de ses décrets et s'érige en « critique » infaillible de ses propres actes, peut réputer crime toute activité qui lui déplaît. En Union soviétique, être fidèle aux principes fondamentaux sur lesquels repose l'Etat est devenu un crime abominable puni avec la dernière cruauté. Nouvelle preuve de la facilité avec laquelle l'Etat totaliste peut faire fi de ses lois et renier ses engagements les plus solennels - et cela après avoir proclamé sur tous les tons la « légalité socialiste» : le récent reniement, par l' « Etat des travailleurs », de la dette publique contractée envers les travailleurs eux-mêmes, sans que ceux-ci aient la moindre possibilité de se plaindre. Les détenteurs de bons devenus sans valeur, les épargnants qui voyaient épongées leurs économies forcées furent en outre obligés de tenir des réunions pour voter des résolutions exprimant leur bonheur d'être spoliés. Plus un régime dure, plus il ressent la nécessité de réglementer les devoirs et les espoirs de ses sujets, même s'il conserve intacte la possibilité d'opérer un brusque virage, d'intervenir de manière imprévisible et discrétionnaire. La seule garantie contre un Etat omnipotent est l'existence d'organisations non étatiques capables de contrôler effectivement le gouvernement, d'exercer sur lui une pression concertée. Sinon, tenter de freiner, de limiter, voire de contester, équivaut à appeler sur soi un châtiment exemplaire destiné à préserver l'atomisation de la société. A propos du despotisme, Locke écrivait : Entre sujet et sujet, on octroiera (...) des mesures, des lois et des jugements qui assurent la paix entre eux et la sécurité mutuelle. Quant au souverain, il doit être absolu et il est au-dessus de toutes ces contingences; puisqu'il a le pouvoir de causer plus de mal et de tort, il est juste qu'il le fasse. Demander comme on peut, de ce côté-là, se garder du mal ou du dommage (...) est le propre de factieux et de rebelles ... La question même peut à peine être posée. Réclamez seulement la sûreté, et l'on est prêt à vous signifier que cela mérite la mort 3 ••• Il est bon de rappeler que les souverains les plus despotiques ont, d'aventure, laissé de minutieux recueils de lois. Le code romain, qui mérite à bien des égards sa réputation, ne fut composé et publié qu'après la divinisation de l'empereur, alors qu'il n'était plus question d'imposer des limites à sa puissance, mais seulement de l'adorer. Certes, les lois doivent se multiplier et se normaliser afin que les sujets puissent savoir ce qu'on attend d'eux, et aussi quelle doit être la nature de leurs relations réciproques, celles qui ne concernent pas le pouvoir central. Mais l'absence de tribunaux ou de corps constitués indé~endants, d'une presse et d'une opinion publique indépendantes, prive la loi de tout caractère astreignant envers les dirigeants. Dans le totalitarisme communiste, la divinité impériale.\ est 3. Second trait, du gouvernemfflt a·w1. ch. vn.

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