Le Contrat Social - anno VI - n. 6 - nov.-dic. 1962

B.D. WOLFE . Il ne faudrait cependant pas commettre l'erreur de tenir ces «petits hommes» pour trop petits, car lorsqu'on dispose d'un sixième des terres émergées, d'une population de 200 millions d'âmes, d'une économie d'Etat totale et d'un grand empire, on apprend forcément autre chose qu'à devenir un courtisan ou le lieutenant d'une faction. Il n'en demeure pas moins qu'aucun d'entre eux ne fait montre à l'heure actuelle de l'énergie et de l'intelligence propres à Lénine, ~on plus_que de 1~force démoniaque, plu~ grossière mais non moms personnelle, de Staline. Chaque fois qu'un despote vient à disparaître, tout le monde espère un changement. Les hommes «nouveaux » ont dû en tenir compte. Ils en ont prétexté pour introduire des réformes inévitables, pour rationaliser les éléments d'un système qu'aucune force organisée et indépendante n'était capable de modifier par en bas, pour faire des concessions limitées tout en consolidant leur pouvoir. Mais le cadre institutionnel dont ils ont hérité, ils entendent bien le conserver. C'est un système politique solide et durable enserrant une société complètement fragmentée, -atomisée, dans lequel l'Etat - ou plus exactement le Parti qui en est le noyau - dicte sa loi à toutes les institutions existantes 1 • Structure de l'appareil CERTAINEPSIÈCESde cette machine du pouvoir ont maintenant plus de cinquante ans d'âge, d'autres datent de 1917, d'autres enfin de la consolidation du régime stalinien dans l'industrie, l'agriculture, la politique et la culture, au cours des années 30. Mais les plus récentes sont en. place depuis plus de vingt années. • En somme, les épigones ont recueilli un bel héritage: une société émiettée; un parti centralisé, monolithique, monopoliste ; un Etat à parti unique ; un régime de violence sans frein ass?rti ~e persuasion ou de contrainte psychologique incessante sur le peuple ; une bureaucratie technocrate rompue à l'exécution des ordres reçus (avec une faible marge d'erreur minutieusement calculée) ; une économie centralisée, entièrement étatisée, englobant fermes, usines, banques, transports et tout le commerce intérieur et extérieur ; une priorité dogmatiquement enracinée pour les branches industrielles essentielles à la puissance de l'Etat ; une stricte économie de subsistance pour la masse des producteurs ; une agriculture entièrement éta- !isée. et «collectivisée» qui, sans qu'elle soit Jamais parvenue à résoudre le problème de la productivité, ne cesse de tendre à un gigantisme et à un étatisme toujours plus poussés, jusqu'à menacer de réduire le modeste lopin individuel à un pur u jardin d'agrément»; une industrie 1. Cela ne s'applique pas à l'Empire, mais seulement à l'Union aovi~tique. En g~n~ral le pr~sent article ~vite toute conlcUration 1ur l'Empire. Biblioteca Gino Bianco 325 puissante, qu_oique ?nilatéralement développée, aux rythmes inhumams, et centralisée à l'excès, ainsi que l'exige le totalitarisme ; les techniques et l'expérience acquise de plusieurs plans quinquennaux; ':111ceulture enrégimentée (à l'excep- ~iondes_replis les plus secrets de l'âme qui restent inaccessibles à la technologie moderne ellemême) ; le monopole de tous les moyens d' expression et d'échanges ; un système étatique de «critique » ; une doctrine infaillible, révélée pa~ des autorités ~ai~bl_es, interprétée et appliquee par un parti infaillible, lequel est conduit par un meneur infaillible ou par une coterie infaillible, en tout cas par un «sommet» infaillible ; une méthode qui consiste à progresser en zigzag vers des objectifs fondamentalement immuables; un système d'avancement, de rétrogradation, de correction de l'erreur, de modification de la stratégie et de la tactique, de réduction des écarts, en vertu de décrets édictés au sommet et appliqués grâce à des épurations d'étendue et d'intensité variables ; un recours permanent à la révolution par en haut jusqu'à ce que le communisme ait conquis la planète. Formés dans un tel héritage, ces hommes y ~ro~ent dur comme fer. Une dynamique interne inhibe, pour une part, pour une autre dicte leur forme aux changements qu'ils entreprennent, de même qu'elle conditionne les changements spontanés. Il faudrait une étude à part pour distinguer ce qui est essentiel au totalitarisme, au point qu'une modification équivaudrait à une « mutation de système »,de ce qui, étant d'un ordre plus superficiel, n'aboutirait qu'à .une mutation « à l'intérieur du système ». Quelques aperçus sur un certain nombre de développements politiques de la période post-stalinienne suffiront à le démontrer. Le premier changement qui saute aux yeux, c'est la direction collégiale. Les statuts du Parti ne prévoient pas de chef autoritaire, dictateur, ou vojd. Tout comme la grande puissance la plus centralisée prétend toujours être un Etat fédéral, une simple union de républiques autonomes, ces statuts ont toujours prescrit la démocratie dans le Parti et la direction collégiale. La collégialité IL ÉTAITFACILEde prédire que les héritiers de Staline proclameraient une direction collégiale, alors même qu'ils commençaient à manœuvrer_ po~ co~stituer un _groupe dirigeant plus étroit (triumvirat, duumvirat) et se livraient à une sourde lutte pour la succession. Pendant plus ?e c~q ans, S?llne avait dft lui aussi parler de direction collégiale et poser au primus inter pares, et il lui fallut dix ans pour assassiner les premiers de ses «rivaux». Les héritiers de Staline avaient les mêmes raisons de proclaro~ la direction collégiale du

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