M. MASSENET Les méthodes sont diverses, mais les règles de prudence convergentes, tandis que l'accession à la magistrature. suprême d'un type d'homme ~gereux n'est pas écartée par le système français. Toutefois, seul l'argument tiré de l'équilibre institutionnel paraît décisif. Paradoxalement, le souci de mettre à l'écart le cc système exclusif des partis », qui semble avoir inspiré toutes les interventions du général de Gaulle dans la vie publique, se traduit aujourd'hui par une novati~n qui réintroduit l'action partisane au sommet de J'Etat en politisant l'élection du président de la République. En même temps, le président et l'Assemblée, l'un et l'autre liés au suffrage universel dans la source de leur pouvoir, sont invités à se considérer comme deux forces d'égale valeur; l'arbitrage ne peut plus s'exercer et le rapport entre les deux entités constitutionnelles risque de se réduire à un rapport de forces. Sans doute la force la plus concentrée, celle du président de la République, est-elle destinée à s'imposer : un seul homme l'emporte nécessairement contre six cents - du moins en termes de politique. Le déséquilibre entre les pouvoirs rend donc possible une dictature. Que l'on y songe: le président des EtatsUnis est élu pour quatre ans ; il est choisi par le peuple après avoir été présenté par la convention de son parti ; il respecte l'indépendance de la magistrature, elle-même placée sous la garantie de la Cour suprême; il doit s'incliner, non sans grands inconvénients pour la bonne marche de l'administration, devant la souveraineté législative et budgétaire du Congrès; il n'a pas le pouvoir de dissoudre le Congrès, lequel peut surmonter son veto législatif par un vote à la majorité qualifiée. Le président ne peut nommer à certains hauts emplois qu'avec l'accord des commissions compétentes du Sénat. Des structures fédérées, beaucoup plus vivantes qu'on ne le pense généralement, viennent parachever ce système de contrepoids. Un esprit public vigilant, une réelle liberté de la presse, le caractère privé des chaînes de radio-télévision, tout contribue aux Etats-Unis à répandre partout les possibilités d'initiative et les occasions de Hbre discussion. Nous élirons pour sept années un homme qui ne se recommandera que de lui-même. Il aura la possibilité de dissoudre l'Assemblée à tout moment ; il disposera des moyens de diffusion en monopole absolu ; il pourra consulter par référendum, sur tout sujet de son choix, l'ensemble de ses propres électeurs, sans que la rédaction de la question posée relève d'un collège. L'article 16 lui donnera, en toute circonstance tenue par lui seul pour exceptionnelle, la possibilité de rassembler en lui tous les pouvoirs. Un tel régime peut être considéré comme démocratique dans la mesure où il place la démocratie à la source du pouvoir; mais il l'exclut dans Biblioteca Gino Bianco 321 l'organisation des pouvoirs et prépare ainsi l'aventure à travers les déséquilibres. Or la nature même de la vie publique française rend ces déséquilibres et cette aventure plus probables encore. La France n'a jamais su trouver en elle-même les contrepoids naturels au pouvoir que les sociétés anglo-saxonnes ou scandinaves ont élaboré au cours des siècles. Les moyens de diffusion de masse sont chez nous monopole d'Etat, sans être soumis, comme la B.B.C., à des règles d'objectivité; la magistrature n'y jouit ni d'un respect universel, ni d'un statut solide, ni d'une indépendance politique réelle; !'habeas corpus, qui n'a jamais été considéré comme un principe absolu, vient d'être supprimé en matière politique ; la structure des partis est faible et dispersée; l'esprit public se porte alternativement de la passion à l'indifférence. Penser, dans ces conditions, qu'un pouvoir peut se passer de garde-fou parce que sa source est populaire, c'est renouveler l'erreur de Rousseau et s'engager droit sur la route de la tyrannie. IV. - Perspectives d'évolution ATTIRERl'attention sur un danger, c'est inviter à l'action. La meilleure parade au déséquilibre consistera en une attitude qui fera de la réforme récente, non le point d'aboutissement de notre évolution institutionnelle, mais un point de départ vers un remaniement total de la structure de nos pouvoirs. C'est à partir de l'élection au suffrage universel que nous devons inventer un nouvel équilibre. Bien que la sagesse porte à considérer qu'un régime parlementaire, régularisé par un arbitrage, eût représenté la voie la moins périlleuse, la réforme est maintenant réalisée et l'avenir sera modelé par ce fait accompli. Les hypothèses d'évolution que l'on peut formuler 5ont au nombre de quatre. a. Première hypothèse. Le cc balancier institutionnel» s'étant trop fortement déporté vers le pouvoir personnel, il reviendra inévitablement aux excès passés du régime d'assemblée: tel est le raisonnement sur lequel M. Beuve-Méry (le Monde du 22 septembre 1962) fonde une physique politique qui paraît quelque peu sommaire. Il faudrait supposer, pour qu'une telle hypothèse se réalise, que les hommes de la IV0 RépubJique aient le désir et la possibilité, dès que le général de Gaulle aura cessé d'occuper la scène politique, de reprendre des pratiques que le pays a toujours réprouvées. L'époque n'est pas propice aux restaurations, et à celle-là moins qu'à toute autre. On doit cependant admettre que la procédure utilisée pour réaliser la réforme, entachée d'une grave irrégularité aux yeux de l'opposition, peut donner à celle-ci la tentation d'une revanche si la situation politique venait à évoluer de manière sensible. Mais il paraît plus probable que la réforme ne sera pu
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