Le Contrat Social - anno VI - n. 6 - nov.-dic. 1962

320 III. -Vers une nouvelle aventure SI l'on veut explorer méthodiquement les perspectives ouvertes par l'élection du président au suffrage universel, il convient d'examiner successivement à quelles hypothèses elle correspond, à quelles pratiques elle conduit, à quels dangers elle expose et quelle évolution elle préfigure. 1. A quelles hypothèses correspond la réforme? L'ÉLECTIONau suffrage universel du chef de l'Etat vise à donner une meilleure assise à l'autorité du président et à affecter d'un signe positif . ce que l'on nomme son « équation personnelle». Un collège à deux degrés le rendrait trop solidaire de la « classe politique », trop sensible à son état d'esprit, trop susceptible de retomber sous son influence, et par conséquent de renoncer à l'exercice réel des pouvoirs qui lui ont été accordés. C'est donc que l'on estime incurable cette classe politique, qu'on la voit, aussitôt passée la période exceptionnelle marquée par la présence du général de Gaulle au pouvoir, retourner à ses poisons et à ses délices, bref, restaurer un quelconque «système». Ce jugement pessimiste est-il justifié ? Oui, en un sens, car l'on n'a pas vu depuis quatre années un seul parti politique faire une autocritique vraiment sérieuse, écarter ses anciens dirigeants pour en choisir de nouveaux, organiser ses relations avec d'autres groupements de façon à réduire le nombre excessif des formations politiques, donner à son programme un contenu concret. Cependant, si l'on se détourne des organisations classiques où s'élaborait la politique française, on observe des signes de renouveau dont témoignent, entre autres, l'action du Centre des jeunes agriculteurs, les recherches de l'association Patrie et Progrès, la réorganisation du Mouvement républicain populaire, la discipline respectée par !'U.N.R. Etait-il impossible d'encourager de tels efforts et de tenter loyalement l'expérience d'un « régime parlementaire arbitré » tel que l'instituait la Constitution ? Le choix d'un régime électoral adéquat eût été un instrument libéral pour contraindre les formations politiques à refondre leurs structures et à diminuer .leur nombre, et pour conduire notre démocratie dans les voies du régime parlementaire authentique qu'elle n'a jamais connu dans le passé 2 • 2. A quelles pratiques conduit la réforme? L'ÉLECTIONà deux degrés convenait parfaitement à. un président de la République chargé d'exercer un arbitrage énergique, de régulariser 2. Cf. les études d'Yves Lévy dans le Contrat social, notamment celle de mars 1961, « La France et sa Constitution ", pleinement convaincante. Bibli.oteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL la vie publique du pays et d'empêchér le retour aux erreurs de la IIIe et de la Ive République; échappant à la domination de l'Assemblée grâce aux dimensions du collège 3 qui le portait à la magistrature suprême, il n'était cependant pas tenté de considérer comme plébiscitaire le choix dont il était l'objet. Tout autre est la situation de l'élu du suffrage universel. La fonction gouvernementale n'est plus seulement attirée dans la sphère présidentielle ; elle s'exercera nécessairement à son niveau. Dès lors, le contrôle de l'Assemblée sur les actes du ministère responsable devant le Parlement sera fictif, puisque le ministère ne sera lui-même qu'une fiction adossée à l'irresponsabilité du chef réel de l'exécutif. Tous les pouvoirs d'arbitrage verront changer de signe leur portée et leur effet ; d'instrument de régulation, ils seront mués en instruments d'action et de domination ; l'Assemblée, placée entre le risque de la dissolution et celui du référendum, incapable d'exercer une mission de contrôle réel, voire privé~ de tout pouvoir législatif par l'extension du pouvoir d'ordonnance, sera en outre maintenue dans l'incapacité d'accéder aux moyens d'information modernes, le monopole de l'Etat en la matière se réduisant à un monopole de l'exécutif. Dans ces conditions, l'Assemblée nationale risque de n'être plus demain qu'un théâtre d'ombres, un corps de représentation chargé de marquer dans les institutions futures la trace d'un sédiment historique, telle la Chambre des Lords en Grande-Bretagne. Le déséquilibre est institué; il s'en faut qu'il soit inoffensif. 3. A quels dangers expose la réforme ? LESDANGERSauxquels les institutions démocratiques françaises vont être exposées ont été méthodiquement recensés par les adversaires de la réforme. Les arguments exposés sont inégalement convaincants. Il reste cependant que la concentration sur la personne d'un seul homme de tant de suffrages n'a d'équivalent dans aucune démocratie moderne. En dépit des nombreuses études consacrées par des professeurs de droit à la marche vers la personnalisation du pouvoir, on constate qu'aucune démocratie ne désigne son exécutif au suffrage universel sans passer par l'intermédiaire de représentants solidement enracinés dans les mécanismes politiques du pays. En Grande-Bretagne, c'est le parti majoritaire qui, en choisissant son leader, le porte au pouvoir au moment où il gagne les élections ; en Suisse, pays de la démocratie directe, c'est l'Assemblée qui désigne le Conseil exécutif ; ~ux EtatsUnis, les candidatures à la présidence sont filtrées avec soin par les conventions des partis. 3. La compos1t1on de celui-ci, critjquable, pouvait ~tre remaniée par une loi organique.

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