LA CONSTITUTION APRÈS LA RÉFORME par Michel Massenet IL N'A JAMAIS été facile de gouverner les ·Fran- . çais, peuple amoureux de la liberté, mais peu capable de vivre sagement sous ses lois. Il est plus difficile encore de les doter d'institutions stables, comme le démontre notre histoire constitutionnelle. J\1ais il est regrettable de constater qu'au moment précis où l'on pensait, après l'action institutionnelle du général de Gaulle, toucher au terme d'une longue période marquée par une alternance de l'excès libertaire et de l'excès autoritaire, l'édifice de· la Constitution du 4 octobre 1958 a été détruit. La Constitution de 1958 avait un singulier mérite: ratifiée par plus de 80 % du corps électoral 1, instaurée par un homme qui bénéficiait d'une autorité incontestée, reconnue par les partis politiques, elle pouvait, par la vertu de quelques formules pratiques, remédier à une instabilité séculaire. ·Pour en consolider le crédit, il aurait sans doute fallu lui manifester plus de déférence ; or des circonstances difficiles ont porté le ·pouvoir à faire face a~ urgences sans trop s'inquiéter de définir une pratique constitutionnelle durable. Mais au lieu d'apprendre patiemment aux Français à se servir de leurs institutions, on ajoute un nouveau chapitre à notre histoire constitutionnelle en adoptant l' élection au suffrage universel du président de la R~publique. On peut faire valoir que nous vivons une période de transitjon et qu'il faut mettre à profit la plasticité des circonstances eour_assurer définitivement l'efficacité et la stabilité de nos pouvoirs; qu'au terme d'une expérience de quatre années, on ne peut contester aux gouvernants le droit de faire le bilan de leur expérience et de lui donner la consécration d'un nouveau texte. Cependant, on voit mal où mènera l'exem1. Avec le plus bas pourcentage d'abstentions enregistré depuis 1945 : 15,1 % contre 22,74 % le 28 octobre 1962. Biblioteca Gino Bianco plarité d'un procédé qui risque de donner quelques tentations constituantes aux successeurs. .. La_ récente réforme constitutionnelle n'appar• tient pourtant pas à nn domaine où l'audace soit licite. Les cristallisations du temps et l'ampleur des consentements .y ont. plus de valeur que le brillant des textes ou l'audace novatrice. Or -les Français sont parvenus à un très large accord sur quelques postulats essentiels con~rnant l'organisation de leur vie publique ; sit,uation nouvelle, qui a l'avantage de soustraire certaines questions à la controverse. Rappelons les points sur lesquels cet accord semble réalisé. .. . · En premier lieu, le système de gouvernement de la ive République, fondé sur la prévalènce d'une assemblée, est considéré comme radiêalement mauvais. Un tel système n'a aucune chance de ·se rétablir, même insidieusement, même pour quelques mois. En tous points contraire aux normes du régime parlementaire dont il se réclamait, il s'est révélé doublement ruineux poùr la démocratie française. D'_une ·part, · il manifestait l'incapacité ·d'un système· démocra- _tique à conduire les ·affaires du pays ; il engendrait donc un scepticisme qui n'atteignait pas sèulement un régime particulier,· mais les fondements mêmes des convictions démocratiques des Français, et préparait à terme le cc désengagement» du citoyen. D'autre part, les constants reports ·d'échéance auxquels étaient contraints les dirigeants de la ive République devaient fatalement .aboutir au point où les difficultés financières, coloniales, militaires et sociales accumulées feraient exploser l'Etat. On commence à comprendre en France qu'au xxe ·siècle, même en dehors de ·circonstances exceptionnelles, le· renforcement de l'exécutif s'est imposé partout; aux Etats-U~s comme en Grande-Bretagne, la démocratie n'est plus solidaire de la prépondérance des assemblées ;
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