B. SOUV ARINB sonnages : Molotov et Vorochilov accompagnaient Staline lorsque celui-ci se rendit à Léningrad pour interroger le meurtrier de Kirov. Même quand Khrouchtchev accorde quelques bribes de vérité, il ne se soucie pas de justice, mais de politique. Et il ment avec une effronterie toute stalinienne en feignant de s'étonner à présent de choses patentes en leur temps. « Malgré l'obscurité trompeuse entretenue par le "génial" Staline autour de cette mort violente, il était pourtant certain dès le début que la Guépéou avait machiné l'attentat, le meurtrier servant d'instrument et la responsabilité majeure· incombant au tout-puissant Secrétaire général », liton dans un livre paru en France à l'époque 3 • Khrouchtchev n'est pas plus sincère en parlant « des éminentes personnalités du Parti qui ont péri sans être coupables », de « capitaines comme Toukhatchevski, Iakir, Ouborévitch, Kork, Egorov, Eideman et d'autres, tombés victimes de la répression » (la pseudo-réhabilitation des chefs militaires s'accomplit au compte-gouttes depuis huit ans, à travers des péripéties scabreuses de marchandage qui donnent la nausée). « On a exterminé beaucoup de commandants et de propagandistes politiques remarquables de l' Armée rouge », dit-il, sans oser prononcer de chiffre, que l'on sait osciller entre trente et quarante mille officiers « exterminés ». Il relate des épisodes déchirants ou pitoyables ayant trait à la fin tragique de Iakir, d'Ordjonikidzé, de Svanidzé, et il évoque le sort de « vieux bolchéviks », de « nombreuses personnes innocentes », de milliers et de milliers de victimes sacrifiées pour complaire au tyran paranoïaque, mais il fait semblant d'ignorer l'assassinat des plus proches compagnons de Lénine, de leurs femmes, de leurs enfants, de leurs parents. Il propose d'ériger à Moscou un monument « pour immortaliser le souvenir des camarades tombés victimes de l'arbitraire», mais ce sont les complices des bourreaux qui doivent en établir et censurer la liste. * ,,. ,,. L'HYPOCRISIeEt la dissimulation s'entremêlent tout particulièrement dans le cas de Vorochilov. Ce médiocre entre tous a fait carrière comme serviteur des basses et hautes œuvres de Staline, complice direct des atrocités~ condamnées au Congrès et instrument spécial de l'extermination des cadres militaires. On a peine à relire son ordre du jour de juin 1937 à l'armée, glorifiant l'assassinat des généraux et insultant, calomniant grossièrement ces derniers, sans éprouver un malaise indicible. Après quatre ans de réflexion, il est accusé d'avoir appartenu au groupe antiparti qui se proposait, entre autres, de noyer dans le sang l'actuelle direction collec3. B. Souvarinc : Stalin,. Ap,rçu hi1toriqu1du bolchftlism,. Paria, Pion, 1935 ; 8• id., 1940 ; p. 546. Biblioteca Gino Bianco 193 tive, non sans lui avoir infligé les tortures en usage sous Staline. Or il siège au présidium du Congrès pour écouter le rappel de ses crimes passés et la révélation de ses projets criminels ; il ne peut se faire entendre et Khrouchtchev plaide l'indulgence en sa faveur ; à la suite de quoi il se trouve réélu au Soviet suprême et on le voit parader aux cérémonies officielles. Où est le progrès moral sur le stalinisme ? Le cas de Molotov, à la fois clair dans la culpabilité des tueries et obscur quant aux conséquences, ne satisfait pas plus la logique ni ne déroute pas moins la soviétologie qui s'efforce d'attribuer aux successeurs actuels de Staline certains mobiles respectables. Molotov a été le complice intime du tyran dans ses forfaits les plus monstrueux. Au Congrès, un porte-parole de la direction collective, z~ Serdiouk, a donné connaissance d'un document très significatif, choisi parmi « une infinité de documents accablants », une note du chef tchékiste léjov à Staline accompagnant « pour ratification » quatre listes de personnes condamnées à mort d'avance, sans procès légal. Ces listes comprenaient : n° I, << générale » ; n° 2, « ex-militaires » ; n° 3, « excollaborateurs du commissariat de l'Intérieur », ou N.K.V.D. ; n° 4, « épouses d'ennemis du peuple » - et elles sont contresignées par Staline et Molotov. Ce document qui ne dénombre pas les victimes prouve, une fois de plus, que les exécutions capitales étaient décidées au secrétariat du Parti, non par des tribunaux fictifs4, 4. Ceux qui le savaient, le disaient ou l'écrivaient en Occident ne pouvaient se faire entendre, alors que des pédants et des cuistres se répandaient impunément en «études» austères et trompeuses ainsi qu'en livres indigestes sur la « justice soviétique ». Au XX.IIe Congrès, Khrouchtchev et Fourtséva ont dit textuellement que la mort des officiers généraux a été «votée » au Politburo (où il n'y avait pas deux façons possibles de «voter»). Quelque soixante-quinze orateurs ont paraphrasé cette accusation de Spiridonov, résumant de longs réquisitoires : «Malenkov, Molotov, Kaganovitch et Vorochilov sont personnellement responsables de nombreuses répressions massives à l'encontre des meilleurs cadres du Parti et de l'Etat. » Des centaines de cheminots furent condamnés à mort (dixit Fourtséva) par ordre de Kaganovitch qui, en outre, «a organisé l'extermination des cadres d'ingénieurs et de techniciens» (dixit Bechtchev). Selon Mikoïan, les «antiparti » auraient usé de « justice sommaire » envers les dirigeants actuels, s'ils avaient réussi; selon Souslov, ils s'opposaient au «rétablissement de la légalité révolutionnaire » ; selon Chélépine, ils ont « pendant de nombreuses années (...) disposé du sort de personnes innocentes». Etc. Autrement dit, des milliers et des milliers d'individus ont péri par décision du Politburo, ou du Secrétariat, ou personnellement de leurs principaux membres que Chélépine a flétris en ces termes : « On se demande parfois comment ces gens peuvent marcher tranquillement sur la terre et dormir en paix. Ils doivent être assaillis de cauchemars, entendre les sanglots et les malédictions des mères, des femmes et des enfants de nos camarades qui ont péri innocents. » La Tchéka, puis la Guépéou, puis leurs succédanés ont eu pratiquement droit de vie et de mort sur n'importe qui, en marge des tribunaux. Staline, représentant du Politburo au « Collège » de ces institutions, y avait voix prépond~te. Il finit par décider lui-même sans consulter personne ou avec l'approbation automatique de son entourage qui, allant au-devant de ses désirs pour obtenir sa confiance et ses faveurs, ee mit à rivaliser de ùle dans les • répressions massives •·
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==