248 Un second point où M. Bolloten semble faire une erreur d'appréciation, c'est la théorie générale sur laquelle reposait le principe du camouflage. Il était évident que les républicains ne pouvaient, avec leurs propres forces, vaincre l'armée de Franco et ses alliés italiens et allemands. Il était évident qu'il leur fallait au moins importer des armes. Et il était évident que l'Angleterre, et par suite la France, n'aideraient pas une Espagne révolutionnaire. Que les communistes aient soutenu cette thèse, cela n'en fait certes pas une thèse fausse. Ils n'étaient d'ailleurs pas les seuls à penser ainsi : aucun ministère, pendant la guerre civile, n'a pensé d'autre façon, et rien ne permet d'affirmer que l'influence communiste en soit responsable. Enfin c'est une erreur encore plus grave que de donner la chute de Largo Caballero pour un triomphe des communistes. Qu'il y ait eu là pour eux un succès tactique, cela n'est pas douteux, puisqu'ils ont voulu sa chute. Mais les fruits de leur action ne furent pas ceux qu'ils attendaient, et M. Bolloten a tort d'écrire que « les destinées du camp antifranquiste » furent désormais entre leurs mains. Les seules raisons qu'il donne de cette affirmation concernent Negrin et Prieto, et elles sont loin d'être probantes. De Negrin, M. Bolloten laisse entendre qu'il était sinon un agent communiste, du moins un homme dévoué aux intérêts soviétiques. Les références qu'il donne à cet égard sont nombreuses, mais il semble qu'elles se rapportent toutes à la dernière année de la guerre civile, sauf deux, qui sont d'ailleurs des témoignages rétrospectifs. Le plus important est celui de Krivitski qui, dans Agent de Staline, parle longuement de Negrin (pp. 126-28 de l'édition française). De ce témoignage il ressort que Negrin, alors ministre des Finances, était dès 1936 considéré par Stachevski, l'homme de confiance de Staline en Espagne, comme le successeur de Largo Caballero, parce qu'il «ne. voyait de salut possible pour son pays que dans une coopération. étroite avec !'U.R.S.S. ». Mais cette attitude n'a rien de surprenant, puisque !'U.R.S.S. commençait à envoyer des armes, et était le seul pays à le faire. Ajoutons que Negrin dut paraître à Stachevski un homme effacé et docile. Or ce sont précisément ces traits qui permirent à Prieto d'être le vrai chef politique du premier gouvernement Negrin. Et Prieto semble tout à fait méconnu. . M. Bolloten est disposé à confondre dans une même réprobation tous ceux qui ont pensé qu'il fallait ·camoufler, et même étouffer la révolution. Aussi ne s'intéresse-t-il guère à Prieto, coupable non seulement de penser sur ce point comme les communistes (du moins en apparence), mais, qui pis est, de n'avoir· rien fait pour défendre Largo Caballero au moment où les communistes cherchaient à l'éliminer, d'avoir même donné le· léger coup de pouce qui empêchait tout retour en arrière. Pourtant M. Bolloten signale, nous l'avons dit, que Prieto avait ses propres projets., Biblioteca Gin-oBianco LE CONTRAT SOCIAL Et il note à deux reprises (p. 290, n. 25 ; p. 304, n. 15) des anecdotes qui auraient dû le faire réfléchir: dans l'une on voit, à une réunion du ministère Largo · Caballero, Prieto reprocher à Alvarez del Vayo de se conduire en fonctionnaire soviétique; dans l'autre Prieto, devenu ministre de la Guerre, résiste aux pressions de l'ambassadeur soviétique. Si ces petits faits avaient incité M. Bolloten à approfondir ses recherches, il se serait aperçu qu'il ne s'agit là nullement de manifestations isolées. Nous en avons récemment rappelé ici quelques autres ( Contrat social, marsavril 1962, p. 121) et il ne serait pas difficile de montrer que, si•Prieto a laissé les communistes renverser Largo Caballero, c'est qu'il se sentait infiniment plus capable que lui de s'opposer à eux. Mais ses << projets », auxquels M. Bolloten fait allusion sans dire quels ils sont, allaient encore au-delà. Il voulait, la chose n'est pas douteuse (et nous l'avons écrite dès janvier 1938), .. parvenir à un armistice et à une paix de compromis. Sur ce point M. Bolloten aurait aisément trouvé abondance de documents. Et il se serait aperçu qu'il n'y avait pas seulement, en Espagne républicaine, une politique révolutionnaire et une politique contre-révolutionnaire, mais une troisième politique qui dépassait les sectarismes idéologiques et ne s'asservissait pas aux intérêts étrangers. D'autre part, il n'aurait pas parlé du «triomphe» communiste en mai 1937. En mai 1937, les communistes ont, à leur dam, remplacé Caballero, dont l'incapacité leur avait donné tous les succès qu'énonce M. Bolloten dans cette dernière page où il fait le bilan de son activité, par Prieto, qui fut pour eux infiniment plus redoutable. Le livre de M. Bolloten est donc un peu court, et s'arrête bien avant que les communistes soient .parvenus à leurs fins. Mais que dire des autres limitations de ce livre, et notamment des limitations géographiques ? Nous voyons bien que M. Bolloten n'a pas voulu aller au-delà de la lutte entre les communistes et Caballero parce qu'il a pris Caballero pour une manière de grand homme, mais on est néanmoins surpris de voir dénoncer l'activité contre-révolutionnaire des corn- . munistes en Espagne sans que soit à aucun moment mentionné (entre autres) le nom d'Andrès Nin parmi les victimes, ou celui d'AntonovOvséenko (entre autres) parmi les agents soviétiques. En général, M. Bolloten montre un tact, une discrétion déconcertants lorsqu'il s'agit des assassinats. On trouvera en tout, sur les assassinats dans l'armée, une note très courte faisant allusion à un propos de Prieto (p. 232, n. 31) et un membre de phrase de Caballero (p. 286, n. 12) ; sur les assassinats dans les campagnes, un extrait de Mariano Vasquez (p. 195); sur l'action du Guépéou, une citation de Krivitski (p. 174). Et les termes utilisés sont toujours généraux et dépourvus de précision. Tout ceh~ donne à penser que ce que M. Bolloten reproche aux communistes, c'est leur politique contre-
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