QUELQUES LWRES En juillet 1936, la guerre civile déclenche une révolution sociale qui s'étend à toute l'Espagne républicaine. Cette révolution est « plus profonde à certains égards que la révolution bolchévique dans ses premières phases ». Mais son importance « et son existence même » ont été cachées au monde extérieur « grâce à une politique de duplicité et de dissimulation dont l'histoire n'offre pas d'autre exemple» (p. 17). Ce camouflage est un effet de la politique de Moscou. L'U.R.S.S., en effet, par crainte de voir la France et l'Angleterre laisser à l'Allemagne hitlérienne les mains libres à l'Est, a lancé la politique du Front populaire, c'est-à-dire l'alliance avec une partie de la bourgeoisie. Et pour ne pas heurter cette fraction du Front populaire, il faut faire apparaître clairement qu'il ne s'agit pas en Espagne d'un combat « entre le capitalisme et le socialisme, mais entre le fascisme et la démocratie » (p. 101). Telle est la position communiste dès les premiers jours. L'U.R.S.S. e·spère d'ailleurs que l'Angleterre et la France, par crainte de voir menacées leurs positions méditerranéennes, finiront par intervenir en Espagne, et que cette intervention, en déclenchant un conflit entre elles et l'Allemagne, 'détournera du même coup de la Russie le fléau de la guerre. Mais cette intervention n'aurait aucune chance de se produire en faveur d'une Espagne révolutionnaire. La formation du gouvernement Largo Caballero représente la première étape du plan communiste. Pour convaincre la France et l'Angleterre, on reconstruit l'Etat « non sur un plan révolutionnaire, mais conformément à l'image de la défunte République» (p. 147). A la vérité, le chef du gouvernement est un véritable révolutionnaire. Mais le parti communiste, squelettique avant la guerre civile, a déjà acquis un poids politique considérable en attirant à lui tous ceux que la révolution a lésés et de qui il est le seul défenseur. En outre, s'il n'a que deux membres dans le ~inistère, il y compte des alliés secrets - essentiellement Alvarez del Vayo et Negrin - qui trahissent à son profit le chef du gouvernement. Par le chantage, par la menace, par la corruption, les communistes ne cessent de gagner du terrain. Lorsque Largo Caballero tente de résister, il est trop. tard. Ils s'ente~dent avec Prieto « qui avait besoin des commurustes pour ses propres projets et n'imaginait guère que, comme Caballero, il serait ensuite leur victime » (p. 305). Largo Caballero est alors contraint de démissionner. Et l'auteur conclut â la dernière page de son livre: Caballero avait été vaincu et les communistes avaient triomphé. En quelques mois l'homme qui, au commencement de la guerre civile, l'emportait sur tout autre homme politique de gauche par son influence et sa popularité, avait dans tous les domaines été réduit à l'impuissance. Il n'avait pas seulement perdu son autorité sur l'U.G.T. de Catalogne et sur la Fédération du parti socialiste de cette région, il n'avait pas seulement ~é dépouillé de son autorité sur la Fédération de la jeunesse socialiste unifiée, mais il avait été trahi ou abandonnépar certaim de aea collaborateurlses plus Biblioteca Gino Bianco 247 proches aussi bien que par un grand nombre de ceux de ses partisans qui occupaient des postes de direction da~s ~'U.G:r, et dans les organisations locales du parti socialiste. D autre part, les communistes pendant cette même période, en se glissant adroitement dans presque tous les services de l'Etat, s'étaient, partant de très bas, élevés au point de peser d'un poids décisif sur les destinées du camp antifranquiste. · On perçoit à présent les traits généraux de la thèse de M. Bolloten. Ce dont il accuse les communistes, c'est d'avoir conspiré contre la révolution espagnole et contre son chef le plus en vue en se fondant, d'une part, sur une théorie générale qui conduisait à camoufler - et à étouffer - cette révolution, d'autre part, sur une tactique, sur des procédés dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils étaient dépourvus de loyauté. Cette thèse présente de graves faiblesses. On remarquera d'abord qu'elle implique pour la révolution espagnole un respect qui n'est sans doute pas justifié, et qui d'ailleurs surprend sous la plume de l'auteur. A la vérité, l'atmosphère révolutionnaire des premiers temps a dû être eni'yrante pour ceux qui l'ont respirée. Quelques mois plus tard, elle montait encore à la tête. Mais l'extraordinaire élan des anarchistes et syndicalistes espagnols, leur enthousiasme, la qualité même de certaines de leurs improvisations ne changent rien à certains faits capitaux, sur lesquels précisément M. Bolloten a recueilli une documentation qui ne laisse aucune place au doute : la révolution fit beaucoup de mécontents, elle eut de fâcheuses répercussions sur la production industrielle et agricole, et des effets plus fâcheux encore sur le plan militaire. En général, la révolution s'était faite à l'échelon local, et il fallait tout réorganiser sur le plan national, c'est-à-dire rendre son autorité au gouvernement. Quant à créer un gouvernement à proprement parler révolutionnaire, c'était impossible, et personne n'a rien proposé de ce genre. C'est un mirage, et sans doute un mirage russe, de penser qu'on pouvait mener de front la révolution et la guerre civile. Il y avait naturellement des gens pour penser à Lénine. Mais en 1917 Lénine s'est emparé d'un pouvoir quasi vacant, et à un moment où aucune force organisée ne pouvait s'opposer à lui. Lorsque la guerre civile commença, les bolchéviks étaient déjà solidement installés au pouvoir. Puisqu'en Espagne la guerre civile se présentait d'abord, c'est par elle qu'il fallait commencer, et remettre la révolution à plus tard. Une des erreurs les plus graves de Largo Caballero, c'est d'avoir, par scrupule révolutionnaire, hésité à s'engager dans cette voie, et d'avoir ainsi laissé à ses rivaux communistes la gloire de forger une armée nouvelle. C'est d'ailleurs son indécision qui poussa tant de ses partisans à aller vers un parti plus soucieux d'efficacité.
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