Le Contrat Social - anno VI - n. 4 - lug.-ago. 1962

238 Molotov mit sa signature au-dessous et Kaganovitch inscrivit : cc Au traître, à la fripouille et ... (suit un mot obscène, censuré), un seul châtiment: la peine capitale.» A la veille d'être fusillé, Iakir adressa à Vorochilov la lettre suivante : « K. E. Vorochilov. En souvenir des nombreuses années dans le passé de mon travail loyal dans l' Armée rouge, je vous prie de vous charger de veiller sur ma famille, abandonnée à elle-même et complètement innocentP-,et de lui venir en aide. J'adresse la mêmeprière à N. 1. léjov. (Signé) : IAKIR, 9 juin 1937. » Et sur la lettre d'un homme avec lequel il avait travaillé de longues années, alors qu'il savait bien que cet homme avait maintes fois regardé la mort en face en défendant le pouvoir soviétique, Vorochilov écrivit l'annotation suivante : « Je doute de la loyauté d'un homme déloyal engénéral. K. VOROCHILOV10, juin 1937.» Il y a lieu de souligner ici que Vorochilov, Molotov et Kaganovitch, ainsi dénoncés à la tribune d'un congrès unanime à les considérer comme des scélérats, ne sont même pas exclus du Parti, encore moins traduits en justice. Vorochilov plastronne en public et Khrouchtchev l'embrasse sur la bouche. C'est pourtant Khrouchtchev qui, dans son discours de clôture au XXIIe Congrès, le 27 octobre dernier, a tenu le langage qui suit, à propos du « sort tragique » des militaires « exterminés » par Vorochilov aux ordres de Staline: Paroles de Khrouchtchev au XXJJe Congrès On a parlé ici avec une grande douleur des éminentes personnalités politiques et du Parti qui ont péri sans être coupables. D'éminents capitaines comme Toukhatchevski, Iakir, Ouborévitch, Kork, Egorov, Eideman et d'autres sont tombés, victimes de la répression. C'était des hommes de grand mérite de notre armée, notamment Toukhatchevski, lakir et Ouborévitch. Ils étaient des capitaines . de marque. Par la suite, Blücher et d'autres chefs militaires éminents ont été victimes de la répression. Une information curieuse a paru dans la presse étrangère, selon laquelle Hitler, préparant une attaque contre notre pays, aurait mis en circulation, par l'intermédiaire de ses services secrets, un document fabriqué de toutes pièces selon lequel les camarades Iakir, Toukhatchevski et les autres auraient été des agents de l'état-major allemand. Ce« document», prétendument secret, aurait été remis au président de la Tchécoslovaquie, Benès, et celui-ci à son tour, sans doute dans une bonne intention, l'envoya à Staline. Iakir, Toukhatchevski et les autres camarades furent arrêtés et ensuite supprimés. On a exterminé beaucoup de commandants et de propagandistes politiques remarquables de l'Armée rouge. Parmi les délégués au Congrès se trouvent des camarades - je ne citerai pas leurs noms pour· ne pas leur causer de peine - qui ont passé beaucoup d'années dans les prisons. On les «persuadait » par des procédés particuliers qu'ils étaient des espions allemands, ou anglaii ou autres encore. Et certains d'entre eux« avouaient». Même dans les cas où on leur annonçait que l'accusation d'espionnage ne tenait plus, Biblioteca Gin-oBianco LE CONTRAT SOCIAL ils insistaient eux-mêmes sur leurs anciennes dépositions considérant que mieux valait s'en tenir à leurs fausses déclarations pour en finir au plus vite avec le3 tortures, pour trouver plus rapidement la mort (...) (•..) Je connaissais bien le camarade Iakir. Je connaissais également Toukhatchevski, mais moins bien que Iakir. Au cours d'une conférence à Alma-Ata, cette année,· son fils, qui travaille au Kazakhstan, est venu me voir. Il m'a demandé des nouvelles de son père. Mais que pouvais-je lui dire ? Lorsque nous nous occupions, au présidium du Comité central, de l'examen de ces affaires, on nous rapporta que ni Toukhatchevski, ni Iakir, ni Ouborévitch n'avaient perpétré aucun crime contre le Parti et l'Etat ; nous avons alors demandé à Molotov, Kaganovitch et Vorochilov : « Vous êtes pour leur réhabilitation ? - Oui, nous le sommes, ont-ils répondu. - Mais vous avez châtié ces hommes vous-mêmes, avons-nous dit avec indignation. Dans quel cas avezvous donc agi selon votre conscience : avant ou maintenant ? » Mais ils n'ont pas répondu à cette question. Et ils ne· répondront pas. Vous avez entendu les remarques qu'ils apportaient aux lettres adressées à Staline. Que peuvent-ils dire encore ? Lors de son intervention au Congrès, le camarade Chélépine vous a dit comment étaient supprimés les meilleurs représentants du parti communiste dans l'Armée rouge ; il a donné lecture également de la lettre du camarade Iakir à Staline et cité les annotations portées sur cette lettre. Il faut dire qu'à l'époque Iakir était très bien vu de Staline. On peut ajouter qu'au moment de sa mort, Iakir s'écria : cc Vive le Parti ! », «Vive Staline ! » Il avait tellement confiance dans le Parti, il avait tellement foi en Staline qu'il n'admettait pas même la pensée que les illégalités étaient commises sciemment. Il considérait que des ennemis avaient noyauté les organismes du commissariat du peuple à l'Intérieur. . Lorsqu'on rapporta à Staline la conduite de Iakir avant sa mort, Staline vociféra des injures à son adresse. Khrouchtchev s'est donc limité à répéter, en amplifiant quelque peu, ce que Fourtséva et Chélépine avaient raconté avant lui, mais en mentionnant les « tortures » infligées aux victimes pour leur extorquer des «aveux». Il a aussi ajouté de son cru, pour comble d'hypocrisie, l'allusion à une « information curieuse» parue à l'étranger, suivant laquelle Hitler aurait machiné un faux document pour compromettre Iakir, Toukhatchevski et autres, document transmis par Benès à Staline et ayant motivé la « suppression » <lesdits généraux. Le mémoire de B. Souvarine cité plus haut a fait justice de cette histoire qui tend à exonérer Staline de sa culpabilité en le montrant dupe d'une savante manœuvre des services secrets de Hitler. En réalité ce fut Staline qui, ayant besoin de faux poµr nourrir son dossier vide, a manœuvré les nazis par l'intermédiaire d'un agent double ou triple, le général Skobline, dont les agissements crapuleux sont déjà signalés dans Agent de Staline, lé livre de W. Krivitski publié à Paris en 1940.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==