Le Contrat Social - anno VI - n. 4 - lug.-ago. 1962

232 Ouborévitch, Kork, Eideman, Feldman, Primakov, · Poutna - coupables d'infraction au devoir militaire (serment), de trahison envers l'Armée rouge ouvrière et paysanne, de trahison envers la patrie; il a décidé de priver tous les accusés de leurs titres militaires et · l'inculpé -Toukhatchevski de son titre de maréchal de l'U.R.S.S. et de les condamner tous à la peine criminelle suprême : être passés par les armes. . D'un jour à l'autre, le nom du maréchal Egorov avait disparu de la composition du pseudo-tribunal. Il est clair que cet homme a refusé de se prêter à la sinistre mise en scène conçue par Staline et ses acolytes et qu'il a payé de sa vie son sentiment de l'honneur. Lui aussi sera «réhabilité», vingt-cinq ans plus tard, par Khrouchtchev. Cependant, le jour même où le Figaro reproduisait le sinistre communiqué annonçant la condamnation à mort, ce journal publiait (12 juin) un article de B. Souvarine commentant l'événement dès lecture du télégramme. Nous en donnons ci-dessous le texte sans y changer un iota : Article de B. Souvarine -Le voile se déchire. Staline a donné l'ordre de mettre à mort les principaux chefs de l'Armée rouge. Dans la nuit de jeudi à vendredi, un communiqué officiel a annoncé l'arrestation de huit généraux et leur comparution devant la Cour suprême. Dès hier jeudi, à huis clos, le procès a commencé. Le supplice des « héros » de l'Armée rouge n'est plus qu'une question d'heures. Il s'agit du maréchal Toukhatchevski, des généraux Iakir, Ouborévitch, Kork, Eideman, Feldman, Primakov et Poutna. Si Gamarnik ne s'était suicidé, il serait au banc des accusés. Ce sont bien les principales têtes de l'Armée rouge qui vont rouler dans le sang. Tous ces généraux avaient ce qu'il est convenu d'appeler les plus brillants états de service. Tous étaient décorés de l'ordre de Lénine et de l'ordre du Drapeau rouge plutôt trois fois qu'une. Tous ont gagné leurs grades sur les champs de bataille pendant la guerre civile russo-russe. Tous paraissaient hier ou avant-hier encore au-dessus de toute atteinte. Et ces hommes sont accusés de haute trahison, plus précisément d'espionnage au profit de l'Allemagne ... Accusation monstrueuse, manifestement imbécile, à laquelle aucune personne saine et honnête n'accordera le moindre crédit. Presque tout l'état-major d'une armée se livrerait à de l'espionnage au service de l'armée qui doit combattre la leur en temps de guerre ? Si Staline voulait faire savoir au monde que la Russie est tombée au niveau de la Chine, il ne s'y prendrait pas autrement. Qu'il n'y ait pas un mot de vrai dans· ces accusations insensées, cela ressort assez clairement de toute la marche des événements en U.R.S.S. Même si les accusés avouent, à leur tour, des choses impossibles, leurs aveux sont sans valeur. Il est patent que Staline dispose de moyens efficaces pour faire avouer n'importe· quoi à n'importe qui. Il est constant que Staline se débarrasse de tous ceux dont l'existence le gêne, sous n~importe .quel prétexte. Les pires. a4versaires de Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Trotski ont été taxés de· trotskisme; les plus inoffensifs politiciens, de terrorisme; les dirigeants de l'industrie, de sabotage; les chefs de la police, de crimes de droit commun. Maintenant, les militaires sont taxés d' espionnage et de trahison. C'est pour ainsi dire dans l'ordre - un ordre un peu spécial. Mais le procédé ne peut tromper que les dupes volontaires. Il importe d'attirer l'attention sur le fait que la suppression de. neuf des principaux chefs de l'Armée rouge implique ipso facto le « retrait de la circulation» de centaines d'individus - parents, amis, collaborateurs. Il importe aussi de souligner ce fait énorme que les accusés sont jugés par les généraux qui viennent de leur succéder aux plus hauts postes de commandement, en attendant de prendre leur place au cc banc d'infamie» ... Nous assistons donc à une véritable hecatombe au ralenti. De nouveaux procès sont en perspective. La génération d'Octobre agonise. Staline veut rester l'unique survivant des compagnons d'armes de Lénine et n'avoir autour de lui que des médiocres incapables de regarder « le soleil » en face. Car Staline exige qu'on le compare au soleil. La parole est aux psychiatres. B. SOUVARINE. · Cet article et sa date prouvent qu'il était possible, au moment même de l'assassinat du maréchal et des sept généraux, de formuler une opinion bien motivée sur ce nouveau crime multiple de Staline, sans attendre les résultats d'une « enquête »dont Khrouchtchev et consorts feignent hypocritement d'avoir eu besoin pour « réhabiliter » les victimes vingt ans après leur mort, trois ans après la mort de Staline. Ecrit en quelques minutes dans la nuit du 11 au 12, l'article ne met pas en question la réalité du «procès», mais il s'avéra très vite dans les jours suivants que le procès n'était qu'une fiction. A noter que la phrase finale précède d'une quinzaine d'années les renseignements qui ont filtré à l'étranger ~ur la paranoïa du personnage. On sait que les paranoïaques sont obsédés d'idées fixes, parfois intermittentes, qui peuvent offrir l'apparence d'une certaine logique. Dans le cas de Staline, à part la mégalomanie et le délire de la persécution, il apparut bientôt évident que la peur d'Hitler incita le « secrétaire génial » à rechercher une entente avec le Führer et, à cette fin obsédante, à exterminer tous ses camarades civils ou militaires susceptibles de réprouver l'alliance stalino-hitlérienne, peut-être d'y faire obstacle. On comprend que Khrouchtchev et c1e, qui ne renient pas le pacte StalineHitler, qui au contraire le justifient, ne puissent dire la vérité sur les tueries ordonnées par Staline ; ils esquivent la difficulté en inscrivant tout au compte du cc culte de la personnalité », ce qui n'est qu'Wle échappatoire. Leur insincérité s'avère indiscutable en particulier quand on relit le document suivant, signé de Klim Vorochilov. Voici en effet l'ordre· du jour adressé aux armées par le_commissaire à la Guerre, et dont nous ·retrouvons le texte dans la Correspondance in,erna~(-qnale du 19 juin 1937 : ·

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