Le Contrat Social - anno VI - n. 4 - lug.-ago. 1962

230 mort à l'occasion du vingt-cinquième anniver- .saire de l'hécatombe qui, de l'aveu de Khrouchtchev et des autres dirigeants actuels, a causé tant de désastres dans la première phase de la guerre g~rmano-soviétique provoquée par le pacte Staline-Hitler. Il importe donc de combler cette lacune, non seulement au nom de la vérité historique, mais surtout en raison des illusions persistantes qui égarent encore maintenant la politique des démocraties occidentales vis-à-vis des Etats qui se disent communistes. En effet, l'orientation majeure de cette politique s'inspire de l'idée fausse selon laquelle la direction collective actuelle de l'Empire soviétique, représentée par Khrouchtchev, met en pratique une conception de « coexistence pacifique» contraire à la politique extérieure de Staline, supposée plus intransigeante et belli- .gueuse ; et que par conséquent Khrouchtchev mérite des ménagements, voire des concessions qui le récompensent et l'encouragent à persévérer dans une voie qui doit aboutir à la paix universelle et définitive. Ce schéma comporte l'existence de deux tendances rivales et militantes à la tête du « camp communiste·», l'une libérale et pacifique, l'autre dogmatique et guerrière, impliquant le devoir de « soutenir» ( ?) la première contre la seconde. On a démontré plusieurs fois ici même, et tout récemment encore dans Le spectre jaune (notre n° 2 de 1962), que la « coexistence pacifique» date de Staline et que le prétendu conflit « idéologique » entre staliniens, à propos de l'impérialisme et des guerres, inéluctables ou non, n'est que logomachie dissimulant de vulgaires querelles dépourvues d'idéologie (cf. aussi, dans le présent numéro, Les clairs-obscurs du néo-stalinisme). - L'intérêt toujours actuel de ce que tant de fourbes et d'ignorants ont accrédité en Occident sous la désignation trompeuse d'« affaire Toukhatchevski » est de prouver avec une pertinence irrésistible la pérennité des traits essentiels du régime soviétique, sous Khrouchtchev comme sous Staline, nonobstant les changements intervenus en· U.R.S.S. sous la pression des circonstances et en vertu des impératifs de la nature humaine. Le Contrat social a publié dans son n° 4 de juillet 1959 un mémoire rédigé en 1957 et démontrant, sous le titre « L'affaire Toukhatchevski » dûment guillemeté, qu'il n'y eut jamais ni «affaire » ni procès Toukhatchevski, mais entreprise d'extermination méthodique des principaux cadres du Parti et de l'Etat fondés par Lénine et qu'au cours de ce processus où devaient succomber successivement tant de politiques, de diplomates, de techniciens et d'artistes, l'heure avait sonné du sacrifice des militaires. L'inexistence de l'affaire Toukhatchevski, thèse réitérée maintes fois depuis 1937 par l'auteur (B. Souvarine) de ce mémoire, a été confirmée au XXIIe Congrès de l'an dernier par l'un des principaux orateurs, I. V. Spiridonov, en termes presque identiques quand i~ a dit que- Staline Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL avait procédé à « l'extermination des cadres léninistes, des gens qui avaient grandi et furent éduqués sous la direction immédiate de Lénine». Il appert de diverses interventions faites à ce même Congrès qu'aucun «procès» de Toukhatchevski n'a eu lieu, que les condamnations à mort furent cc votées » au Politburo du Comité central, sous l'œil inquisiteur de Staline (voir les citations·,plus loin). Il va de soi que les« aveux» des prétendus « coupables» n'ont pas plus existé que le procès ni que «l'affaire ». D'ailleurs Khrouchtchev a explicitement reconnu ce qui tombait sous le sens depuis longtemps, à savoir que dans les cas où des innocents ont «avoué» n'importe quoi, c'était pour se soustraire à des tortures intolérables, préférant une mort rapide à un traitement atroce. On ne va pas répéter ici la démonstration faite dans le mémoire susmentionné, encore que certaines redites soient inévitables. Les textes et les documents qui suivent ne sont évidemment que quelques pièces significatives d'un dossier que les historiens auront à compléter, mais que les hommes politiques dignes de ce nom devraient méditer dans son état actuel pour comprendre à qui nos pays relativement libres ont affaire , quand ils traitent avec les despotes de Moscou et de Pékin, de Varsovie et de Belgrade (car tous ces parvenus sont pleinement solidaires en matière d'épurations sanglantes dont ils ont été les profitèurs). Il est insensé de supposer que de tels assassins et leurs complices, même quand ils font mine de désavouer les crimes dans lesquels ils avaient trempé, puissent avoir une ,politique extérieure en contradiction absolue avec leur politique intérieure. Le simulacre de leurs désaveux ne correspond nullement à une évolution sincère, mais à une tactique appropriée à une situation nouvelle. La lecture attentive des pages publiées ci-après doit en convaincre les lecteurs de bonne foi. Voici la chronologie des faits ou signes annonciateurs qui ont précédé le· faux « procès » du 11 juin 1937 et la tuerie subséquente, les tueries successives dont des milliers d'officiers de tous grades ont été victimes. Le 24 janvier 1937, Karl Radek met en cause Toukhatchevski incidemment lors de son interrogatoire au procès d'un « Centre antisoviétique trotskiste » inexistant, et nomme Poutna comme complice d'agissements terroristes imaginaires. 1 ' Peu après, on apprend l'arrestation antérieure des généraux Poutna, Primakov et Schmidt, ayant eu lieu à des dates imprécises. Le 12 avril, Toukhatchevski est muté à un poste secondaire en province, donc éloigné de Moscou, et remplacé par le _maréchal Egorov. Des indiscrétions révèlent la disparition des généraux Levandovski, Kouzmitchov et d'autres.

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