226 ...les forces armées soviétiques se trouvaient au niveau des exigences du temps quant à l'organisation, l'armement, le matériel technique, l'état moral et politique. Elles étaient capables de défendre la liberté et la patrie. Mais alors, pourquoi notre pays, qui avait toutes les possibilités économiques, morales, politiques et militaires de riposter de façon écrasante aux agresseurs fascistes allemands, s'est-il trouvé au début du conflit dans une situation très difficile ? Pourquoi nos troupes, et en premier lieu celles des régions militaires frontalières, n'ont-elles pas été mises en temps utile sur pied de guerre ? Pour répondre, il résume les révélations du rapport de Khrouchtchev, les portant ainsi officiellement pour la première fois à la connaissance de l'armée: L'une des causes principales de cette situation est dans l'immense dommage que le culte de Staline avait infligé au pays et au peuple ... Dans les années qui suivirent la mort de Lénine, Staline avait concentré entre ses mains un grand pouvoir. Abusant de la confiance du Parti et du peuple, il avait pris l'habitude de trancher seul les questions d'Etat les plus importantes. Foulant grossièrement aux pieds les principes léninistes de la direction, il pratiquait -l'arbitraire et érigea en système la restriction de la démocratie interne du Parti et de la démocratie soviétique. Il s'arrogea le monopole de la doctrine et de la solution de toutes les questions d'Etat, politiques et militaires. Prenant personnellement toutes les décisions, il a commis une lourde erreur dans son évaluation de la situation stratégique militaire à la veille de la guerre ..• Persuadé que l'Allemagne n'oserait pas violer si rapidement le pacte de non-agression germano-soviétique, il prenait pour de l'intoxication tous les re~seignements concernant la préparation par l'Allemagne hitlérienne d'une agression contre l'U .R.S.S. et rejetait les demandes de certains commandants de régions militaires qui sollicitaient l'autorisation de mettre leurs troupes sur pied de guerre. Certains chefs militaires ont renoncé à toute responsabilité personnelle en se fiant au « génie et à la perspicacité » de Staline. Ainsi le premier maréchal d'artillerie N. Voronov raconte dans ses mémoires qu'à la veille de la guerre il fut reçu par G.I. Koulik, suppléant du commissaire dù peuple à la Défense. Des renseignements très précis et détaillés étaient parvenus au commissariat sur la concentration de plus en plus forte des troupes allemandes sur notre frontière: les numéros de leurs corps d'armée, de leurs divisions d'infanterie et de chars étaient connus. _Néanmoins, Koulik avait conclu ses commentaires sur ces données inquiétantes par une phrase qui avait profondément frappé Voronov : « Ce n'est pas notre affaire. Il s'agit là de haute politique qui dépasse notre entendement. » Ainsi raisonnait le premier suppléant du commissaire du peuple à la Défense ... Conséquence inévitable du régime de terreur, cette fuite devant les responsabilité coûta très cher avant même l'ouverture des hostilités : - Le culte de la personnalité (...) contribuait à développer le bureaucratisme, supprimait l'initiative et instituait l'arbitraire de _ceuxqui jouissaient de la confiance de Staline. Ainsi, quand en 1940 il fut question de choisir l'emplacement pour les stocks du matériel de Biblioteca Gino..B. ianco .. . "' .. - L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE mobilisation, les spécialistes militaires voulurent les répartir au-delà de la Volga. Mais L. Z. Mekhlis, commissaire du peuple au Contrôle d'Etat, s'y opposa et fut d'avis d'entreposer ces stocks dans les régions militaires de la frontière occidentale. Il considérait toute objection comme une tentative de sabotage. Staline, qui avait confiance en Mekhlis, adopta son point de vue. Le général d'armée Khroulev, chef des services de l'arrière pendant la guerre, affirme dans ses mémoires : Nous avons payé très cruellement cette décision. Lors de la retraite, une grande quantité de ce matériel fut détruite ou prise par l'ennemi. Un autre crime particulièrement grave de Staline contre l'armée n'est que très brièvement évoqué dans l' Etoile rouge. 11 ne consacre à l'hécatombe qui fit disparaître en 1937-38 la fleur des officiers de l'Armée rouge que cette courte mention : L'une des plus lourdes conséquences du culte de la personnalité fut la répression dont furent '1ictimes à la veille de la guerre certains officiers et travailleurs politiques remarquables. Les grands chefs de guerre M. N. Toukhatchevski, V. K. Blücher, I. E. Iakir, I. P. Ouborévitch, A. I. Egorov, A. I. Kork, R. P. Eideman et tant d'autres innocents y ont péri. La capacité de combat de nos troupes à la veille de l'agression fasciste en fut également amoindrie. Ce massacre 9 fit disparaître troi~ maréchaux sur cinq, 90 % des généraux et 80 % des colonels, ainsi qu'environ 30.000 autres officiers, soit près de la moitié du corps des officiers soviétiques 10 • On peut se demander pourquoi, dans un réquisitoire aussi sévère, on glisse si rapidement sur pareille abomination. Ne craint-on pas de faire revenir en mémoire le rôle joué par Khrouchtchev en Ukraine dans cette épuration ? Il est certes plus prudent de s'étendre sur les dommages infligés par Staline à la science militaire : Staline a, il est vrai, formulé quelques thèses sur plusieurs problèmes généraux de doctrine militaire, en particulier sur le choix de la direction du coup principal à porter à l'ennemi et sur les réserves. Mais c'est trahir la vérité que d'affirmer, comme on le faisait naguère,· que Staline est le créateur de la science militaire soviétique ... Le régime du diktat et le dogmatisme institué par le culte de Staline ont laissé des traces dans cette science. A la veille de la guerre, on y constatait une dégradation du niveau des recherches, une interprétation subjective et unilatérale des leçons de la guerre d'Espagne, etc. -----, 9. Cf. l'article de B. Souvarine : « L'affaire Toukhatchevski», in Contrat social, juillet-août 1959, et les documents réunis dans le présent numéro sous le titre: « La décapitation de l'Armée rouge». · 10. D'après !es renseignements recueillis à l'époque par l'état-major général japonais et plusieurs services secrets occidentaux, cités dans l'ouvrage de Raymond L. Garthoff: La Doctrine militaire soviétique.
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