E. DELIMARS gnés de la mentalité stalinienne, se prononça pour ses adversaires. Leur maintien dans l' « appareil », à l'échelon local, pouvait être dangereux, et la campagne contre le culte de la personnalité prit une toute autre allure. Jusque-là, malgré ses erreurs et les atrocités révélées dans le « rapport secret», jamais imprimé en U.R.S.S., mais dont la teneur s'était rapidement transmise de bouche à oreille, Staline était très ménagé. On déplorait les crimes des dernières années de son règne, mais on reconnaissait les immenses services rendus par lui au Parti et surtout à la patrie. Mais soutenir cette attitude prudente et nuancée, permettant au Kremlin de sauver la face vis-à-vis des partis communistes étrangers où le culte de Staline en justifiait d'autres, tels que celui de Mao ou d'Enver Hodja, s'est bientôt révélé impossible pour Khrouchtchev et la direction collective. Outre le souvenir d'atrocités et de bévues politiques et doctrinales, fort gênantes pour le retour à la « pure doctrine » de Lénine, dans·laquelle la direction collective cherche une justification idéologique à sa nouvelle politique, celle-ci avait hérité d'une structure administrative profondément imprégnée de «stalinisme». Nous avons déjà eu l'occasion d'exposer ici même 5 les principaux traits de la mentalité de ces cadres et de ceux qui doivent leur succéder. Au lieu d'être des agents d'exécution zélés et scrupuleux, les cadres locaux représentent un lourd handicap pour les autorités centrales. Du fait de leur incurie, de leur inertie, et surtout de leur habitude invétérée de ruser et de commettre des faux, ils mettent parfois en mauvaise posture Khrouchtchev lui-même et ses déclarations publiques optimistes 6 • · Le déficit des récoltes des années 1959 et suivantes ont obligé ce dernier à trouver des responsables, parfois réels, souvent de simples boucs émissaires, pour des échecs répétés. Il s'en est suivi une élimination permanente des cadres locaux à tous les échelons. Dans ce renversement de la vapeur, il fallait faire table rase de toute la période stalinienne et repartir du bon pied, sous une nouvelle bannière. Il ne pouvait plus être question de ménager Staline et ses collaborateurs les plus proches, devenus membres de l'abominable « groupe antiparti ». C'est pourquoi le « linge sale» fut si soi5. Cf. • La mentalité des cadres en U.R.S.S.», « La jeur esse soviétique • et « La jeunesse soviétique et ses aînés », in Contrat social de mai-juin, nov.-déc. 1961 et janv.-fév. 1962. 6. Cf., par ex., les déclarations triomphantes de Khrouchtchev au plénum du Comité central de décembre 1959 : l'U.R.S.S. produisait 300 grammes de beurre de plus qu'aux Etats-Unis par tete d'habitant et la région de Riazan avait remporté de grands succ~s dans la production de la viande. Tout cela fut recoMu plus wd par lui-meme comme ~tant un bluff dO aux fraudes des autorit~ localea. Biblioteca Gino Bianco 223 gneusement étalé par tous les orateurs au XXJJe Congrès, et davantage encore dans les commentaires que la presse soviétique n'a pas cessé de publier depuis lors. * )f )f Au COURS de cette nouvelle et décisive étape de la lutte contre les cadres staliniens, il s'agit de rééduquer tous les milieux soviétiques, plus particulièrement les forces armées. Avant le :xxe Congrès, le culte de Staline faisait partie intégrante de l'éducation politique des cadres et du contingent. La consigne du silence a fait qu'au lendemain du Congrès le prestige de l'idole restait intact pour la grande masse des militaires. Ce n'est que depuis trois ans que la publication de souvenirs de guerre de certains militaires de haut rang commença à jeter quelque doute sur le rôle exceptionnellement brillant jusqu'alors attribué à Staline dans la conduite de la guerre. Puis, les trois premiers volumes du monumental ouvrage collectif Histoire de la grande guerre patriotique de l'Union soviétique, parus à Moscou pendant l'été et à la fin de 1961, présentèrent, en s'inspirant du « rapport secret », une nouvelle version qui rendait Staline responsable de l'impréparation de l'Armée rouge et de ses défaites jusqu'aux derniers mois de 1942. Tous les succès soviétiques y sont attribués au « peuple », au « gouvernement », au « commandement suprême », et plus souvent encore au Parti, sans que soit mentionné le nom de Staline ; le rôle néfaste de ce dernier est au contraire souligné dès qu'il s'agit d'un échec. Mais un ouvrage aussi volumineux ne pouvait toucher qu'un public forcément restreint d'historiens et d'officiers supérieurs. Il ne suffisait pas à ruiner le culte de Staline dans les forces armées. Pour rendre le comportement et la mentalité des cadres conformes aux principes du nouveau programme du Parti, il fallait tout d'abord les désintoxiquer et détruire toute trace du culte de la personnalité. Nul ne devait plus ignorer les erreurs et les crimes commis par Staline au cours de sa longue carrière, et plus particulièrement au cours de la guerre. Dans une large campagne de presse, déclenchée pour diffuser et commenter les décisions du XXIIe Congrès, l' Etoile rouge fut chargée de cette désintoxication. Organe central du ministère de la Défense, ce journal fournit aux cadres et instructeurs politiques de l'armée les matières à développer et à commenter lors des séances d' éducation politique. Il devait procéder à une éclatante dégradation publique du généralissime et transformer l'idole en une image repoussante, faire de Staline un despote incapable et brouillon, principal responsable des pertes énormes de la guerre. Le culte rendu à Staline dans l'armée devait !ttc remplacé par celui du Parti.
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