Le Contrat Social - anno VI - n. 4 - lug.-ago. 1962

218 _d'autre part. Au vrai, la thèse de Marx (la conscience sociale est déterminée par l'existence sociale) contient des ambiguïtés pour l' épistémologie. Pourtant, il convient de souligner en tout ceci le caractère éthique de la thèse - ou de son postulat - sur une conscience prolétarienne. A l'idée d'une révolution à double moteur, correspond le double aspect de la pensée et de l'activité politique de Marx. Il ne manque pas d'exemples qui montrent que sa lutte politique prit souvent un caractère à la fois exotérique et ésotérique. Ainsi, en I 84 7, il · accepte la viceprésidence de l'Association démocratique, à Bruxelles, tout en devenant membre de la Ligue des communistes. Ainsi, en janvier 1848, il rédige le Manifeste communiste et, dans le même mois, prononce un discours sur le libre-échange qui sera publié par l'Association démocratique. Ainsi, la même année, l'année de la révolution, il fonde et publie à Cologne la Neue Rheinische Zeitung, sous-titre : « Organe de la démocratie», et se brouille avec l'extrême gauche de la Ligue, qui dénonce son opportunisme. En I 84 7, il écrivait : «La domination de la bourgeoisie fournit au prolétariat non seulement des armes entièrement nouvelles pour le combat contre la bourgeoisie, mais aussi une position complètement différente en tant que parti officiellement reconnu.» Dix-huit ans plus tard, Marx et Engels feront une déclaration publique où ils réaffirment leur position de I 84 7 et dénoncent les erreurs des lassalliens, qui recherchaient l'alliance du prolétariat et du gouvernement royal de la Prusse contre la bourgeoisie libérale : «Nous souscrivons aujourd'hui à chaque mot de la déclaration que nous avons faite à l'époque.» · A chaque période de sa carrière politique, on voit Marx combattre inlassablement pour les 'libertés démocratiques : a-q. début des années 50, aux côtés des chartistes; pendant toute la durée du Second Empire, par des centaines d'articles antibonapartistes ; par sa lutte contre le tsarisme et contre le prussianisme qui en est l'instrument; au cours de la guerre de Sécession, où il prit parti pour le Nord contre le Sud, pour le travail libre contre l'esclavage (en 1865, au nom du Conseil général de la Ji:,e Internationale, il rédigea une adresse · à Abraham Lincoln, rappelant qu'un siècle plus tôt l'idée d'une .«grande république démocratique » avait pour la première fois jailli, donnant ainsi l'impulsion à la révolution européenne du XVIIIe siècle et faisant comprendre aux classes ouvrières que la rébellion des esclavagistes devait sonner là le tocsin d'une croisade de la propriété contre ·1e travail). En 1871, Marx magnifia la Commune de Paris comme « le vrai représentant de tous les éléments sains de la société française, et donc le vrai gouvernement national » en même temps que « le gouvernement ouvrier », comme « le champion .courageux de l'émancipation du travail», comme .l'antithèse du bonapartisme et de l'impérialisme, Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES comme « le self-governement des producteurs », un gouvernement élu au suffrage• universel, responsable et révocable à tout moment. C'était « la forme politique enfin découverte pour réaliser l'émancipation économique du travail ». Pour citer un dernier épisode, rappelons qu'en 1872 Marx fit exclure Bakounine de l'Internationale, car- il était convaincu que l'anarchiste voulait s'en servir comme d'un paravent pour des entreprises de conspiration, où il se réservait à lui-même le rôle d'un maître absolu. Il voyait dans la société bakouninienne secrète « la reconstitution de tous les éléments de l'Etat autoritaire sous le nom de communes révolutionnaires (...) l'organe exécutif est un état-major révolutionnaire formé par une minorité (...) l'unité de pensée et d'action ne signifierien d'autre qu'orthodoxie et obéissance aveugle. Perinde ac cadaver. Nous sommes en pleine compagnie de Jésus. » IV. - La dictature du prolétariat MARX ne vantait pas volontiers ses propres mérites de théoricien social. Il ne prétendait avoir découvert ni l'existence des classes sociales ni la lutte de celles-ci dans la société moderne. Il revendiquait cependant, sans hésitation, la paternité d'une démonstration originale, à savoir : 1. que l'existence des classes est liée à des phases déterminées du 'développement économique ; 2. que la lutte des classes aboutit « nécessairement » à· la dictature du prolétariat ; 3. que cette dictature• ·conduit à la disparition de toutes les classes dans une société , , , , regeneree. Bien qu'il ne nous le dise pas expressément, nous sommes en droit de supposer que Marx attribuait à ces trois thèses une validité scientifique, et que la démonstration avait à ses yeux la portée d'une construction logique, empiriquement vérifiable. Il serait aisé d'énumérer les écrits, publiés ou inédits, dans lesquels Marx a effectivement tenté, avant 1852, de «prouver» les trois thèses divulguées dans sa lettre à Weydemeyer. On y verrait comment il fait appel, avec un judicieux équilibre, à deux méthodes simultanées : d'une part, l'analyse, la description précise, l'information sérieuse; de l'autre, la déduction, la ~ynthèse· valorisante, et donc la Sinngebung éthique. Quant au concept de dictature du prolétariat, il est étroitement lié à une conception de l'Etat et des formes de gouvernement. Or nous venons de montrer que Marx a fait une large place, dans sa théorie politique, aux principes de la démocratie en tant que conquête de la bourgeoisie et du prolétariat dans .leur

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