· Débats et recherches LE CONCEPT DE DÉMOCRATIE CHEZ MARX* par Maxi1nilien Rubel I. - Pour une démocratie libérée de l'Etat et de l' Argent LA CRITIQUE SOCIALE, qui constitue la substance de l'œuvre de Karl Marx, a, pour l'essentiel, deux cibles : l'Etat et l'Argent. Il est significatif que Marx ait commencé cette œuvre critique avant d'adhérer au communisme. Pour y parvenir, il lui suffisait de concevoir la démocratie comme la voie d'une libération fondée sur des rapports sociaux profondément modifiés et, tout d'abord, de fournir la preuve théorique de l'incompatibilité foncière d'institutions telles que l'Etat et l'Argent avec la liberté humaine. Deux tâches pour lesquelles il fallait s'évader de la philosophie hégélienne : cette position se trouve proclamée dans deux écrits qui, rédigés à quelques mois de distance, paraissent ensemble dans les Annales francoallemandes de janvier 1844, quatre ans avant le Manifeste communiste . dont ils présentent, en quelque sorte, une variante en deux volets de style philosophique. Il s'agit de l' Introduction à la critique de la philosophie du droit de Hegel, d'une part, et de l'essai sur La Question juive, d'autre part. Entre ces deux moments de. la carrière littéraire de Marx se situent ses études d'économie politique et la première tentative d'une critique radicale des théories du capital. Inédits jusqu'en 1932, ces travaux ont permis de mieux comprendre les chemins de sa pensée. Toutefois, alors qu'une immense littérature a été consacrée aux manuscrits parisiens, dits économico-philosophiques, de 1844, on ne connaît aucune analyse en profondeur de l'important travail auquel Marx .s'est livré pendant l'été de 1843, dans sa studieuse * Le thème de cet essai fut traité dans ·un cours public à l'Université Harvard en avril 1961. Tout en y apportant quelques changements, l'auteur a tenu à lui conserver le style de l'improvisation. · · Biblioteca Gin.a Bianco retraite de Kreuznach, et qui nous est parvenu sous la forme d'un volumineux manuscrit. Publié pour la première fois en 1927, c~ te~~~,quoique inachevé, marque une rupture definittve avec la philosophie politiq1:1ed~ Hegel. Tout en d~nonçant violemment l'illogisme et la supercherie de certaines thèses hégéliennes sur l'Etat et la monarchie, la propriété et la bureaucratie, Marx formule une conception de la démocratie où il va beaucoup plus loin que dans les articles qu'il avait publiés, quelques mois auparavant, dans la Rheinische Zeitung pour livrer bataille à la censure . prussienne. . C'est une opinion répandue qu'en devenant communiste, Marx abandonne l'idéalisme et le libéralisme dont témoignent ces essais polémiques. Mais, à moins de supposer que son adhésion au communisme est le geste d'un illuminé, force est d'y voir l'aboutissement logique, naturel, de ce même idéalisme et de ce même libéralisme. La clef de cette adhésion, on la trouve aussi bien dans le manuscrit antihégélien de Kreuznach que dans les deux essais mentionnés plus haut, publiés à Paris. De tous ces travaux, une conviction se dégage, qui n'abandonnera plus le savant et l'homme de parti : la démocratie ne peut trouver son achèvement que dans une société· où les hommes, librement associés, n'aliènent plus leur personnalité à travers de fallacieuses médiations, politiques et économiques. Cette conviction, Marx l'a acquise au moyen de nombreuses lectures, philosophiques et historiques, pendant ses années universitaires à Berlin et à Bonn (1840-1842). Pour notre sujet, il convient d'examiner brièvement quelques-unes de ces lectures : elles nous mettront sur la piste de la démarche intellectuelle qui a conduit Marx de la démocratie à l'anarcho-communisme. Dans un de ses cahiers d'étude, qui date de son séjour berlinois, nous ne trouvons pas moins de 160 extraits du. _ T-raité théologico-politique de Spinoza. ·Les passages notés se rapportent aux miracles, à la foi et à la philosophie, à la raison et à la théologie, à la liber-
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