212 Nasser ou même le « socialisme israélien » 25 • ·S'il lui paraît « facile » de régler leur compte à tous ces types « utopiques » ou « procapitalistes » du socialisme à l'aide de citations· de Marx, d'Engels et de Lénine, Potekhine se donne beau... coup de mal pour nier la validité du socialisme africain qui, selon Nkrumah, « répond aux traditions, à l'histoire, au milieu, aux fondements communautaires de la société africaine » 26 • Le socialisme africain doit être rejeté, car il « sousestime le degré de différenciation de classe dans la société africaine ». En d'autres termes, l'Afrique ne peut éviter à la longue la « lutte de classes» entre la bourgeoisie nationale et le prolétariat, avec toutes les conséquences prévues par la doctrine. « Comme le reste du monde, l'Afrique est soumise aux lois rigides de l'évolution historique 27 • » Ce refus du socialisme africain, comme de tout autre « type national » du socialisme, sera officiellement confirmé dans le nouveau programme du P. C. de l'Union soviétique adopté par le XXIIe Congrès : Les milieux antipopulaires des (...) [pays libérés de la tyrannie coloniale] cherchent à atténuer le contenu démocratique général du nationalisme, à exploiter ses côtés réactionnaires, à empêcher le progrès social, à entraver la propagation du socialisme scientifique. En même temps, ils préconisent des théories de « socialisme du type national », propagent des doctrines sociophilosophiques qui sont, en règle générale, des variantes de l'illusion petite-bourgeoise du socialisme, laquelle rejette la lutte de classes. Ces théories induisent en erreur les masses populaires, entravent le développement du mouvement de libération nationale et compromettent ses succès 28 • Autre sujet abordé par Potekhine, lui aussi pratiquement négligé jusque-là par les auteurs soviétiques, la question de la propriété foncière communale, dont le maintien constitue un des fondements de la théorie du socialisme africain. Les vues de Potekhine en la matière ont subi ces ·dernières années une évolution assez rapide. En 1957, il mettait encore en relief la désintégration du village africain : Nous continuons de parler du paysannat africain en général, bien que ce « paysannat en général» ait cessé d'exister. Le processus de désintégration du paysannat va vite. Le village africain est déchiré par des contradictions de classe 29 • Trois ans plus tard, sa position n'est plus la même. Non seulement il admet que la propriété foncière communautaire est encore un facteur im25. En 1961, Potekhine ajouta à la liste le « socialisme démocratique travailliste » britannique et conclut : « Les idées du socialisme sont largement répandues [en Afrique], mais essentiellement ce ne sont pas les idées du socialisme scientifique (...) qui ont été dans une certaine mesure répandues parmi l'intelligentsia avancée et une partie des ouvriers », in l'Asie et l'Afrique aujourd'hui, oct. 1961, n° 10, p. 13. 26. L'Afrique regarde l'avenir, p. 10. 27. Ibid., p. 27. · 28. Pravda, 2 nov. 1961. 29. L,Ethnographie1(>'(Jfltique, 1957, n° 3, p. 185. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL portant en Afrique, mais il concède que son abolition n'est pas une condition préalable absolue pour passer directement au « socialisme » : Le point de vue des fondateurs du marxisme est clair : la communauté rurale (obchtchina) peut, dans certaines conditions, devenir un point de départ du développement non capitaliste d'un pays et de l'édification du socialisme. Le facteur décisif est l'existence de forces internes capables de conduire le mouvement sur cette voie,. c'est-à-dire de forces à qui le pouvoir reviendra un jour 30 ••• Nouvelles formules PoTEKHINEaborde bien entendu ici un problème plus général et très urgent pour les communistes qui consiste à élaborer un système politique intermédiaire permettant aux pays sous-développés de passer au communisme « en évitant l'étape socialiste du développement». La question fut débattue à la conférence des 81 partis communistes réunis à Moscou en novembre 1960 - peu après la parution de la brochure de Potekhine - et c'est à cette occasion que prit corps la notion d' « Etat national-démocratique indépendant ». Khrouchtchev lui-même, dans son discours du 6 janvier 1961, souligna l'importance de « l'idée d'Etats national-démocratiques » et des « tâches qui leur incombent ». « Les communistes sont des révolutionnaires, expliqua-t-il, et il serait fâcheux qu'ils ne sachent pas discerner les nouvelles occasions qui s'offrent et qu'ils ne trouvent pas les méthodes et formes nouvelles qui mènent le plus sûrement au but. » Le commentaire le plus circonstancié sur le nouveau « concept théorique marxiste-léniniste» sera fait la même année par B. Ponomarev, théoricien bien connu du communisme international et nouvellement élu secrétaire du Comité central du P. C. de l'Union soviétique. L'Etat national-démocratique, écrivait-il, apparaît « à mesure que se développe et s'intensifie la révolution de libération nationale » et contribue à « en consolider et développer la victoire». Ses tâches essentielles consistent à lutter contre l' « impérialisme »et ses blocs militaires, à « balayer le féodalisme et les conditions médiévales » et à « combiner l'indépendance nationale et la démocratie ». Il poursuivait : Pareil Etat est dirigé par des représentants des forces progressistes de la nation. Ils lèvent l'étendard de l'in30. L'Afrique regarde l'avenir, pp. 24-25. A l'appui de sa nouvelle position, Potekhine citait Lénine (ibid., p. 25) en ignorant le contexte (cf. Lénine: Œuvres, 4e éd. russe, Moscou 1950, vol. 31,,pp. 219-220). Le Dictionnaire politique soviétique, qui fait autorité, décrit ainsi la position de Lénine sur la communauté rurale (obchtchina): « Dans ses ouvrages (...) Lénine montre que quelles que soient les particularités de la propriété foncière, elles ne peuvent empêcher le développement du capitalisme et la désintégration de la communauté rurale ... En conséquence, l'appel des narodniki [populistes] à préserver la communauté rurale est une utopie réactionnaire. »
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