Le Contrat Social - anno VI - n. 4 - lug.-ago. 1962

L. PISTRAK habilement le séparatisme religieux à leurs propres fins » 20 • Cette critique du « séparatisme religieux » n'est qu'une forme camouflée de la lutte contre la religion menée depuis plus de quarante ans en Union soviétique même. A cet égard, l'accent mis par Lénine sur la nécessité de « lutter contre le clergé » dans les pays coloniaux demeure à l'ordre du jour. De là les conseils de Potekhine: Lutter contre l'exploitation du séparatisme religieux est plus difficile encore que de surmonter le tribalisme, et les for ces progressistes d'Afrique auront besoin de l'aide des savants... Une série d'études spéciales sur le statut de la religion en Afrique est nécessaire. Ce travail doit comprendre des études sur les croyances et c ltes africains locaux, sur la propagation du christianisme et de l'islam et sur l'activité des missions religieuses européennes. Il faut montrer le véritable rôle des missionnaires (...) dont (...) le travail dans le domaine de l'enseignement et de la santé est subordonné à la tâche principale des missions, qui est de renforcer la domination des puissances impérialistes qui les envoient en Afrique et de qui elles reçoivent subsides et instructions 21 • Quant à la question de concilier les frontières ethniques et politiques, Potekhine demeurait hermétique : « cette tâche difficile (...) appartient au domaine des relations internationales ». Mais il laissait entendre que la solution était impossible tant q~e la « bourgeoisie » restait au pouvoir en ~rique. En attendant, les savants soviétiques devaient dresser une « carte ethnique précise » de l'Afrique (destinée à remplacer la carte préliminaire déjà achevée) et étudier spécialement la composition ethnique de chaque Etat ou colonie. « Tous ces travaux, qui sont de la plus haute importance, doivent être considérés comme une phase préparatoire à la solution du problème plus complexe de la formation des nations 22 • » La réalité en face ~s1, après dix ans de contacts physiques plus étroits avec l'Afrique noire, les africanistes soviétiques commencèrent à comprendre que leurs formules marxistes stéréotypes étaient inapplicables aux problèmes sociaux et politiques complexes de la vie africaine ; bref, il était nécessaire de concilier la doctrine marxiste-léniniste avec la réalité africaine. Cette nouvelle conscience se reflète dans L'Afrique regarde l'avenir, brochure de 8~ page~ écrite par Potekhine, où, pour la prenuère fois, des concepts tels que la «négritude » et la « personnalité africaine » sont discutés par un auteur soviétique. 20. L'Bthnographie 1ooi,cique, 1959, n° 2, pp. 14-15. 21. Ibid., p. 16. ~2. Ibid. _En avril 1959, le~ ethnographes soviétiques av.aient t~r~1né d~s études ethniques sur les pays et territoire■ afr1caJnssuivants : Kenya, Tanganyika, République du Congo, Afrique du Sud-Ouest. Des études sur l'Angola le Mozambique et la Nigeria ~ent en cour,. ' Biblioteca Gino Bianco 211 Ces concepts, développés par les intellectuels africains, sont nés du sentiment de dignité raciale qui déferle sur l'Afrique. Avec bienveillance, Potekhine voit d'abord en eux une « réaction légitime » à la politique discriminatoire des anciens gouvernants coloniaux. Il les rejette néanmoins comme « pas très heureux », car ils ne « se réfèrent pas à tous les peuples d'Afrique, mais seulement aux peuples de race négroïde» 23 et vont ainsi à l'encontre de la politique de Moscou préconisant l'unité de tous les peuples africains indépendamment de leur appartenance raciale. Qui plus est, l'idée de cc négritude » est « parfois interprétée comme signifiant que tous les nègres, quel que soit l'endroit où ils vivent et quelles que soient leurs conditions d'existence, ont une psychologie, une conception du monde et une idéologie semblables ». Dès lors, seule l'unité panafricaine - y compris les peuples du Maghreb et des pays «arabes»- est, selon Potekhine, « dans l'intérêt de la lutte contre le colonialisme et l'impérialisme ». Et, chose plus importante encore, dans cette « noble cause (...) la classe ouvrière est appelée à jouer un rôle particulier ». Prises ensemble, ces deux déclarations projettent quelque lumière sur la politique de Moscou tendant à encourager l'unité panafricaine. Le mouvement communiste (la « classe ouvrière ») en Afrique tropicale est encore à organiser; on ne trouve aujourd'hui d'organisations communistes de quelque importance qu'en Afrique du Nord et dans la République suf-africaine. Les Soviétiques peuvent ainsi faire fond sur les Nord-Africains pour organiser le Parti dans les régions subsahariennes. Cependant, seul un mouvement panafricain permettrait aux communistes nord-africains d'agir avec efficacité en Afrique noire. La deuxième raison avancée par Potekhine pour rejeter l'idée de «négritude » - il n'y a pas de « psychologie et de conception du monde communes» parmi les Noirs - est en harmonie avec la position actuelle de Moscou niant toute affinité politique entre les Noirs afric.ains et leurs descendants des Etats-Unis 24 • L'Afrique regarde l'avenir traite d'autres problèmes abordés pour la première fois dans les écrits soviétiques. Par exemple, Potekhine discute, _asse~en ~étai!. le. fait qu'une grande partie de 1 intelligentsia africame n'accepte pas le socialisme du type soviétique et lui préfère la version yougoslave, les idées socialistes démocratiques de Léon Blum, le « socialisme coopératif» de 23. L'Afrique regard, l'atJenir, pp. 77 sqq. 24. Il y eut cependant dans le mouvement communiste international une période pendant laquelle les Noirs américains furent considérés comme l'avant-garde dans la lutte pour la libération des peuples négroïdes d'Afrique. Le 4• Congrh de l'Internationale communiste tenu à Moscou en 1923 déclara que • l'histoire du Noir en Amérique le rend capable de jouer un rôle imponant dans la lutte pour la lib6ration de toute la race africabie ••

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