210 Kremlin) avait besoin de défenseurs, et Khrouchtchev comptait en trouver parmi les jeunes pays neutralistes. Une révision de l'attitude soviétique envers la « bourgeoisie nationale » s'imposait, et Khrouchtchev lui-même fit le premier pas : au cours de son voyage en Inde, en 1955, il voulut bien « réhabiliter» Gandhi 14 • Etant donné ce changement de stratégie, les africanistes soviétiques furent avisés d'avoir à intensifier leurs recherches « à la lumière de l'enseignement marxiste-léniniste». (Les contributions théoriques de Staline à la question coloniale étaient ainsi vouées à l'oubli.) Une conférence des africanistes fut réunie à Moscou en février 1957 pour discuter diyers projets de recherches sur l'histoire, la vie économique, l'ethnographie et la géographie de l'Afrique. Au cours des débats, Potekhine invita historiens et économistes à étudier tous les aspects de la vie des peuples africains et des processus socio-économiques de la société africaine. Il regretta qu'il n'existe pas « un seul ouvrage sur la manière dont la classe ouvrière, la bourgeoisie nationale et l' intelljge":tsia sont apparues sur la scène politique afncame ». Enfin, il exhorta les historiens à « étudier à fond la politique intérieure et étrangère de la bourgeoisie nationale dans les nouveaux pays africains» 15 • En décembre 1958, Potekhine participa en qu~lit~ d' observ~teur à la conférence des peuples afncams ~enue a Accra. A son retour, il publia deux articles - dans International Affairs et dans la revue théorique du Parti, le Kommounist - qui reflét~ie~t la nou;elle .orientation de la politique africaine de 1 U.R.S.S. Potekhine voyait da~s la conférence un « grand événement histor~que »~ 6 et, tout en critiquant le panafricanisme qw cont1ent « beaucoup de choses étrangères à notre conception du monde», il déclarait qu'en tant que mouvement anti-impérialiste il méritait « d'être soutenu par tous les hommes de bonne volonté qui défendent les idées de progrès et de démocratie». S'il ne pouvait, d'autre part, « sympathiser avec l'esprit de non-résistance à la violence dont sont empreints les discours de beauc??P. ~e dirigeants de ce mouvement »17 , il n incitait pas non plus les Africains à prendre l'initiative des méthodes violentes. Dansle~om1!1'°unist(1958,n° 17,p. 101),Potekhine reconna1ssa1tque le mouvement de libération 14. Au :XXe Congrès du Parti (fév. 1956), O. V. Kuusinen fit. l'éloge de Khrouchtchev et de Boulganine pour « avoir pns vraiment l'initiative de corriger les erreurs sectaires » d~s « fameuses thèses du 6e Congrès sur la question coloniale» (XXe Con~rès du P. C. de l'Union soviétique, compte rendu sténographique, Moscou 1956, p. 503). Pour des raisons coD?-préhe_nsibles,Kuusinen omit de dire que c'était lui qui avait rédigé les « fameuses » thèses et incité le Congrès à les adopter. Cf. Problèmes d'orientalisme (Moscou), 1959, n° 2, p. 66. 15~ L'Ethnographie soviétique, 1957, n° 3, p. 185. I6. International Affairs 1 1959, n° l~ p. 90. . --17.· Ibid., p. 88, Biblioteca Gino Bianeo LE CONTRAT SOCIAL nationale en Afrique avait acquis un « caractère national ~> et que « toutes les couches sociales sont engagées dans la lutte pour la liquidation du capitalisme, y compris un certain nombre de seigneurs féodaux et semi-féodaux, ainsi que les chefs de tribus ». Les membres de la « bour- • geoisie nationale » n'étaient plus des traîtres à la cause de la libération. Qui plus est, contrairement à ce qu'il affirmait précédemment (la « classe ouvrière » était seule capable de s'organiser pour diriger la lutte ·pour l'indépendance), Potekhine reconnaissait maintenant tranquillement que si « la classe ouvrière .africaine est encore jeune et manque de conscience politique », « le mouvement est dirigé par la bourgeoisie nationale et l'intelligentsia nationale liée à cette. bourgeoisie». Ce changement d'attitude à l'égard du mouvement de libération nationale était dû pour une bonne part aux informations de première main recueillies par les africanistes soviétiques à la conférence d'Accra et au cours d'autres visites en Afrique. Ils y avaient pris conscience des obstacles ethniques, sociaux, économiques et religieux à la pénétration communiste en Afrique tropicale, de la nécessité d'une méthode plus prudente et de nouvelles recherches « scientifiques». En conséquence, écrivait Potekhine18 , les africanistes soviétiques devaient concentrer leur attention sur trois problèmes : 1. le tribalisme, 2. la religion, 3. la question des frontières politiques et ethniques. Les études sur le tribalisme devaient montrer « plus clairement » que la forme d'organisation tribale, artificiellement soutenue par les « impérialistes», est dépassée et que les chefs tribaux ne sont que des seigneurs féodaux qui exploitent les hommes de leur tribu 19 • La religion (ou « séparatisme religieux », pour reprendre les termes de Potekhine), est un autre « obstacle à la formation d'un front national uni des peuples africains ». Le seul fait que la religion chrétienne, « imposée » par les colonisateurs européens, soit représentée par toutes les confessions possibles est un facteur suffisant pour « semer les germes du mal». Ce n'est pas · tout : les missions « participent aussi à la vie politique, soutenant les partis d'extrême droite ou contribuant à créer de nouveaux partis ». O~tre les missions religieuses européennes, il existe de nombreuses sectes chrétiennes africaines. L'islam a pénétré aussi « au-delà des frontières de l'Afrique arabe » et ses organisations culturelles et politiques « ont soutenu les forces les plus réactionnaires au plus fort de la lutte politique qui a précédé la formation du Ghana ». Enfin, les anciens cultes africains persistent au sud du Sal1ara. La situation est « particulièrement complexe » en Afrique orientale, où un grand nombre d'immigrants arabes et indiens se sont fixés et où les « colonisateurs (...) exploitent très 18. L' ~thnographie soviétique, 1959, n° 2, pp. 14-15, 19. Ibid.
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