Le Contrat Social - anno VI - n. 4 - lug.-ago. 1962

208 ~onsidéré comme un hinterlatul, politique, un facteur qui ne pouvait guère avoir d'influence sur le déroulement de la révolution en Europe, espoir principal et objectif de Lénine. En 1923, peu avant .sa mort, il comprit que les pays d'Europe occidentale « consommaient leur évolution vers le socialisme» autrement qu'il l'avait escompté et il commença à miser sur l'Orient qui, écrivait-il, « est définitivement pris dans le tourbillon du mouvement révolutionnaire mondial » 5 • Mais, en parlant de l'Orient, Lénine pensait surtout au continent asiatique, plus particulièrement au Proche-Orient. Ces restrictions faites, il convient de rappeler qu'en 1920 Lénine avait posé les «principes fondamentaux » de la question coloniale, jetant ainsi les bases de la stratégie communiste en la matière. Refusant « l'illusion nationaliste bornée selon laquelle la coexistence pacifique des nations et leur égalité sont possibles sous le capitalisme » 6 , il affirmait que les «mouvements de libération nationale dans les colonies (...) apprennent par une expérience amère que leur seule chance de salut est dans la victoire du pouvoir soviétique sur l'impérialisme mondial » 7 • Au sujet des « Etats et nations plus arriérés où prédominent des relations féodales ou patriarcales et patriarcales-tribales», il prescrivait la stratégie suivante : L'Internationale communiste ne doit soutenir les mouvements nationaux bourgeois-démocratiques dans les colonies et les pays arriérés qu'à une condition : les éléments des futurs partis prolétariens dans ces pays, qui ne seront pas communistes que de nom, doivent être rassemblés et éduqués de façon à comprendre leur tâche particulière, qui sera de combattre les mouvements bourgeois-démocratiques à l'intérieur de leur propre nation 8 • Cette stratégie fut confirmée et précisée dans les Thèses du mouvement révolutionnaire dans les colonies, adoptées en 1928 au 6e Congrès mondial du Comintern: comme Lénine l'avait fait, elles recommandaient de « ne ménager aucun effort pour appliquer les principes fondamentaux du système soviétique dans des pays où prédominent des rapports précapitalistes en formant des soviets de travailleurs », de mener la « lutte contre le clergé et autres éléments influents réactionnaires et moyenâgeux» et, dans les pays musulmans, de « combattre le panislamisme et les tendances similaires » 9 • De plus, les Thèses prescrivaient aux communistes indigènes d' ... ...apprendre à utiliser chaque conflit [entre la bourgeoisie nationaliste et l'impérialisme], à envenimer ces conflits et à en exagérer l'importance, à les rattacher à l'agitation pour les mots d'ordre révolutionnaires, à répandre 5. Lénine: Œuvres, 4e éd., vol. 33, p. 457. 6. Ibid., vol. 3r, p. r23. 7. Ibid., p. r24. 8. Ibid., p. r27. 9. Ibid. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL parmi les masses la nouvelle de ces conflits, à inciter ces masses à manifester ouvertement et de façon indépendante ·pour appuyer leurs propres revendications 10 • Cela était nécessaire, suivant les Thèses, pour atteindre « l'objectif stratégique fondamental du mouvement communiste dans la révolution bour- ·geoise-démocratique, l'hégémoniedu prolétariat» 11 • Les communistes devaient s'opposer à des mouvements tels que le gandhisme en Inde et la doctrine de Sun Yat-sen en Chine. LES THÈSESde 1928 demeurèrent inchangées tout au long de l'époque stalinienne. Même pendant les dernières années du règne de l'ancien dictateur, alors que l'intérêt soviétique pour les affaires africaines se faisait nettement jour, l'avenir du continent noir ne préoccupait pas encore les esprits au Kremlin : la « révolution coloniale» était à l'ordre du jour. En 1950, à une réunion de l'Institut d'ethnographie de l'Académie des Sciences de !'U.R.S.S.,· I. I. Potekhine lut un rapport sur « La théorie stalinienne de la révolution coloniale et le mouvement de libération nationale en Afrique tropicale et en Afrique du Sud » : ... La théorie stalinienne de la révolution coloniale part du principe que la solution du problème colonial et la libération des peuples opprimés par l'esclavage colonial sont impossibles sans révolution prolétarienne et sans renversement de l'impérialisme 12 • Tout en attribuant ce principe au« grand maître du matérialisme dialectique, le coryphée de la science, J. V. Staline», Potekhine ne faisait que répéter Lénine, pour qui la liquidation de la domination coloniale devait être précédée d'une « révolution prolétarienne » dans les métropoles. Ainsi, en 1950 encore, les hommes du Kremlin ne croyaient pas les peuples coloniaux capables de se libérer tant que «l'impérialisme» existerait. En effet, Potekhine lui-même réitéra alors la théorie de Lénine selon laquelle le colonialisme ne pourrait être aboli sans « la liquidation du capitalisme et l'instauration d'un système soviétique». · · Partant de ce point de vue, Potekhine s'en prenait à des représentants de l'intelligentsia africaine, tel le or Abyssinia Akweke Nafor Orizu, auteur nigérien très connu, qui « réclame l'indépendance de la Nigeria tout en voulant conserver les fondements du capitalisme ». Il critiquait le or Nnamdi Azikiwe, fondateur du National Council of Nigeria et présentement gouvemeu; général de ce pays, pour sa « philo10. The Revolutionary Movement in the Colonies (thèses adoptées par le 6e Congrès mondial de l'Internationale communiste), New York 1929, p. 32. II. Ibid., p: 26. 12. L' Ethnographie soviétique (Moscou), année 1950, n° 1, pp. 24 sqq.

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