Le Contrat Social - anno VI - n. 4 - lug.-ago. 1962

L'AFRIQQE VUE DE MOSCOU par Lazare Pistrak CES dix dernières années, l'intérêt que !'U.R.S.S. porte à l'Afrique a augmenté dans des proportions considérables. Il n'est pas d'aspect de la vie africaine d'aujourd'hui qui ne fasse l'objet d'étude de la part de nombreux savants soviétiques. A une réunion spéciale des historiens de l'Académie des Sciences de !'U.R.S.S., en juin 1961, 1. 1. Potekhine, directeur de l'Institut africain, rapporta que nombre d'importantes questions de l'hi~toire _de l'Afrique étaient à l'étude et qu'au moins vmgt monographies seraient publiées dans les prochaines années. « La tâche urgente et noble» d'étudier, d'un point de vue marxiste l'histoire africaine, poursuivit-il, ne peut êtr~ remplie qu'avec l'aide de« tout le front historique de la science soviétique » 1 • · Il va sans dire que ces travaux ne sont pas dictés par une pure soif de connaissance (quoique nombre de chercheurs soviétiques ressentent ce besoin), mais par des considérations très pratiques. Potekhine vient lui-même de les exprimer on ne peut plus clairement: Etudier l'histoire de l'Afrique est une tâche non seulement scientifique, mais politique... Elle fait organiquement partie de la lutte contre la menace du néocolonialisme suspendue sur les peuples africains, de la lutte pour l'indépendance véritable et le libre choix des méthodes de développement 2 • Même idée, exprimée en termes encore moins équivoques par N. Pigoulevskaïa, membre correspondant de l'Académie des Sciences de !'U.R.S.S. : C'est seulement à partir de connaissances historiques et philologiques exactes que nos conceptions peuvent I. Courrier de l' A cadimie des sciences de l' U.R.S.S., 1961, n° 9, p. 117, Les études soviétiques sur l'histoire africaine doivent montrer, entre autres, que • pendant l'époque précapitaliate, l'Afrique n'était pas un continent arriéré » (ibid., p. 115). 2. Kommounist, 1961, n° 12, p. 51. Biblioteca Gino Bianco devenir convaincantes pour tous et faire leur chemin dans l'esprit des peuples qui luttent pour leur liberté et dans l'esprit des savants progressistes de l'Occident 3 • Ces considérations à long terme mises à part, la cause immédiate de cette offensive « scientifique » réside indiscutablement dans les difficultés que la pénétration communiste rencontre en Afrique, en particulier dans les régions tropicales où seule une partie insignifiante de l'intelligentsia, elle-même numériquement faible, a a~opté la doctrine ~marxiste-léniniste». Les principaux obstacles qui entravent l'offensive politique communiste sont les institutions traditionnelles et les traits spécifiques du nationalisme africain, difficiles à concilier avec la doctrine marxiste-léniniste et son but exclusif de révolution mondiale. Dans aucune autre partie du monde l'attitude soviétique à l'égard des mouvements de libération nationale n'a été aussi inconséquente qu'en Afrique. Voulant à toute force adapter le marxismeléninisme à la réalité africaine, les africanistes soviétiques ont souvent l'air de danseurs de corde en équilibre instable. Particulièrement intéressants à cet égard sont les écrits du principal d'entre eux, 1. 1. Potekhine, notamment son tout dernier ouvrage, L'Afrique regarde l'avenir 4 • Nous examinerons, en suivant l'ordre chronologique, les trois grandes étapes qui marquent l'évolution de la politique soviétique à l'égard de l'Afrique. Une arme rouillée INUTILEde chercher dans les œuvres de Lénine une référence expresse à l'Afrique noire : l'Afrique, en particulier les régions au sud du Sahara, ne Jouait aucun rôle dans ses calculs politiques. De son temps, le continent était 3. L'Asie et l'Afrique aujourd'hui, 1961, n° 8, p. 51. 4. Moscou 196o.

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