Le Contrat Social - anno VI - n. 4 - lug.-ago. 1962

L. EMBRY dont elle ferait les frais. La France n'est pas retenue par de telles craintes et se sent donc plus libre de revendiquer dans l'alliance un rôle moins subalterne. Ici se pose naturellement la question des armes atomiques dont on prétend qu'une armée moderne ne peut se passer à moins qu'elle se résigne à n'être plus qu'une force supplétive. L'Allemagne a souscrit à Londres, ~n 1954, à l'interdiction d'en fabriquer - et d'ailleurs espère en être dotée un jour prochain par les Américains eux-mêmes; la France s'est engagée dans une autre voie et l'on doit rappeler d'ailleurs que la décision de fabriquer une bombe française a été pri~e bien avant que de Gaulle vînt énergiquement pousser l'entreprise. Vanité ? Présomption ? Infraction à la discipline de l'alliance? Il se peut; convenons aussi que les Etats-Unis avaient commis une faute psychologique en communiquant leurs secrets atomiques à l'Angleterre alors qu'ils les refusaient à la France en arguant du fait que la haute administration de celle-ci, noyautée par les crypto-communistes, laisserait les secrets en question s'envoler aussitôt vers Moscou. L'argument ne manquait pas de force, mais il était facile de répondre en demandant s'il y a moins de crypto-communistes à Londres ou même à Washington qu'à Paris, les faits connus permettant d'en douter. La discrimination ainsi pratiquée était donc bien une atteinte, les uns diront à l'amour-propre, les autres à la dignité de la France; on jugeait manifestement que la France était hors d'état de s'armer par ellemême et c'est ce défi qui a été relevé. Nous laissons naturellement aux spécialistes le soin de dire si l'équipement nucléaire français, d'abord tourné en dérision, maintenant pris plus au sérieux, constitue un facteur militaire d'une importance appréciable. Il nous incombe par contre de constater que son existence a le sens d'une rébellion partielle contre l'hégémonie américaine, d'une sommation tendant a obtenir qu'un examen attentif soit enfin consacré aux thèses formulées depuis quatre ans par de Gaulle quant à la réorganisation de l'O.T.A.N. et du commandement interallié. L'histoire interne de n'importe quelle coalition étant toujours, même en pleine guerre, celle de froissements, de tiraillements, de sourdes rivalités, il n'y aurait pas lieu de s'émouvoir à l'excès des actuels désaccords entre l'Amérique et la France s'ils ne nous conduisaient à la question des questions, c'està-dire à la construction de l'Europe et à l'orientation qu'elle pourra éventuellement se donner. POUR qui ne considère que les données explicites et publiques du problème, la dispute entre fédéralistes et confédéralistes paraît incroyablement futile ; on ne peut comprendre ni la passion que d'aucuns y mettent ni les manœuvres d'obstruction dont se sont chargés, Biblioteca Gino Bianco 199 dont ont été chargés plutôt, les Hollandais, puis les Belges. Europe des Etats ? Europe des peuples ? Qui ne voit que ces formules, bien loin de s'opposer, sont complémentaires et toutes deux nécessaires ? Si l'on se place sur le terrain du réalisme, si l'on vise à l'efficacité rapide, il est évident qu'on doit se proposer d'abord d'organiser une collaboration régulière entre les gouvernements européens ; il leur appartiendra de développer les organes communs, d'harmoniser non seulement les initiatives diplomatiques et les moyens de défense, mais les chemins de fer, les autoroutes, les voies aériennes, les systèmes bancaires, les monnaies, etc. Pendant que ce travail s'accomplit, qui empêche les fédéralistes de porter leurs efforts sur un autre plan, de gagner les foules à leurs idées, de multiplier les contacts et les échanges, de préparer cette démocratie supranationale et parlementaire qui leur tient à cœur ? Ils se flattent de voir loin et d' œuvrer pour l'avenir; soit, mais en attendant ce plein éveil qu'ils nous promettent d'une conscience européenne, l'action des gouvernements et des Etats nationaux doit-elle être éliminée ? De tels paradoxes impliquent des réalités qu'on s'abstient de mettre en pleine lumière, mais dont il n'est pas difficile de supputer l'influence. Et d'abord il faut bien dire franchement que dans l'immédiat et en pratique, l'Europe des Etats, c'est une étroite alliance franco-germanoitalienne au cœur de l'alliance atlantique, plus étendue, mais plus lâche. Les petites puissances craignent d'être, en une combinaison politique de cette nature, forcément infériorisées, peutêtre même menacées d'absorption ; leurs liens avec le monde anglo-américain sont d'ailleurs étroits et multiples, si bien qu'elles ne désirent pas du tout les desserrer. Dans une Europe démocratiquement unifiée, au reste problématique et encore lointaine, les petits auraient, conformément à une tactique immémoriale, plus de chance de se liguer contre les empiétements des grands ; le fédéralisme serait en définitive moins coercitif, moins autoritaire que l'organisation confédérale. Mais il y a plus, et l'on touche ici au point sensible. De Gaulle n'a pas caché que, selon ses vues, une Europe solidement constituée par une alliance des principaux Etats d'Occident serait indépendante, donc habilitée à définir librement sa politique. Cela ne signifie nullement qu'il préconise en l'état présent des choses l'absurdité criminelle que serait la rupture avec les EtatsUnis. On doit seulement entendre, et c'est beaucoup, qu'il ne tient pas pour nécessaire à jamais la protection américaine, que l'Europe sera capable de s'en passer si elle sait forger sa puissance, qu'elle pourra donc revendiquer dans la conduite des affaires du monde un rôle plus décisif, surtout en liant partie avec la nouvelle Afrique. Allons plus loin, imaginons le cas où !'U.R.S.S. continuerait sur sa lancée thermidorienne ; de Gaulle entrevoit alors la possibilité de négocier avec elle son retour en Europe. Bien des per-

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