Le Contrat Social - anno VI - n. 4 - lug.-ago. 1962

L. EMBRY l'Occident et dont l'Angleterre, apr~s l'avoir longtemps considéré avec le plus souriant scepticisme, reconnaît aujourd'hui l'importance en cherchant un modus vivendi qui l'en rapproche. L'assise étant posée, on passait sans désemparer à la seconde étape, c'est-à-dire au renforcement militaire qui impliquait le réarmement de l'Allemagne. Alors que le brasier de la guerre était à peine éteint, alors qu'on avait sans relâche entretenu ou attisé les passions en utilisant les horribles images des camps d'extermination, le problème paraissait singulièrement épineux, d'autant qu'il ne pouvait être question cette fois de l'examiner secrètement. Les Etats-Unis tenaient cependant à lui trouver une solution rapide, car ils se rendaient parfaitement compte que leur prépotence militaire, déterminée par les énormes pertes matérielles et humaines de la Russie, puis surtout par le monopole provisoire de l'arme atomique, serait sûrement contestée à brève échéance. Aujourd'hui que nous pouvons juger d'une manière rétrospective en négligeant les détails, nous avons le droit ou le devoir de nous étonner d'une réalisation qui eût paru incroyable à l'observateur prudent. · Il est vrai, le projet d'armée internationale, trop radical peut-être et qu'on avait laborieusement établi pour apaiser les inquiétudes de la France, succomba devant notre Parlement ; mais quelques mois plus tard les accords de Londres en reprenaient la partie la plus substantielle. Dès 1954, le renversement des alliances était donc chose faite, l'Allemagne autorisée, invitée plutôt, à réarmer rapidement, à prendre place dans l'O.T.A.N., à fournir le contingent principal d'une armée européenne dont les Américains assuraient naturellement le commandement, d'autant qu'ils lui fournissaient les crédits d'équipement tout en se réservant, comme de juste, la possession de l'arme nucléaire. Ainsi, la création de l'Europe, préparée par bien des circonstances, bien des tragédies et aussi bien des précurseurs, apparaissait en définitive comme un produit ou une incidence de la guerre froide. On peut même s'étonner de constater que !'U.R.S.S. demeura passive en face d'événements qui équivalaient pour elle à un très grave échec. Il se peut que l'inanité de sa tentative de 1948 pour s'emparer de Berlin par un simple blocus économique lui ait donné à réfléchir, mais il faut se rappeler aussi que la mort de Staline et les luttes cachées entre les aspirants à la succession ouvrirent en Russie une période assez trouble, précisément mise à profit par l'Occident et l'alliance atlantique pour procéder à une réorganisation d'un intérêt majeur. Il est permis de se demander si Staline, supposé vivant pendant deux ou trois ans de plus, aurait admis sans réagir ce 9.u'il n'avait cessé de redouter plus que tout, savoir la formation d'une puissante armée allemande, décidément intégrée dans une alliance occidentale qui ne pouvait avoir de raison d'être que contre le communisme. Biblioteca Gino Bianco 197 SOCRATE disait qu'il n'était pas né d'une pierre ou d'un rocher; l'Europe n'est pas née d'une feuille de papier sur laquelle était tracé un beau devis d'architecte, mais d'une conjoncture historique apportant avec elle l'obligation de sauter le pas et de faire vite. Mais en politique on ne résout jamais un problème que pour en susciter d'autres. Au cours de la décennie qui s'achève, le développement des structures européennes, pour très satisfaisant qu'il soit et très riche de promesses, s'est accompli dans un monde où les rapports de forces ne cessaient de se modifier. D'où la nécessité d'achèvements qui soient aussi des ajustements. D'abord, et l'on ne saurait trop le redire, l'Europe s'est dessinée sous l'opportune pression des Etats-Unis, car toute œuvre unificatrice, en présence de réalités très complexes, suppose un pouvoir hégémonique. Il serait insensé de parler d'un déclin absolu des Etats-Unis qui restent aujourd'hui comme hier la plus grande puissance du monde ; nul doute cependant que l'énorme supériorité matérielle dont ils bénéficiaient au moment de la victoire commune se soit quelque peu effritée en même temps que leur prestige et leur autorité. Il fut un temps, maintenant dépassé, sembl~-t-il, où, en dépit des largesses américaines, les courants antiaméricains se manifestaient partout, même en Angleterre ; on voit mieux en tout cas les faiblesses du géant et les points vulnérables de son organisation ; pour employer le terme à la mode, disons que si le leadership du monde libre ne peut être assumé que par lui, il n'est pas question désormais d'un pouvoir sans contrepoids ; réticences et discussions sont de règle chez ses alliés, tandis que se poursuivent, quoique avec moins de virulence, les dénonciations de l'impérialisme yankee. Enregistrons le fait que, parallèlement, la peur du communisme s'est atténuée; peut-être fautil stigmatiser ici l'indolence et l'imprudence du monde libre, d'autant que nul n'ignore l'actuelle puissance militaire du pays des Soviets. C'est un fait cependant qu'on s'accoutume à la présence sur l'horizon du colosse moscovite et qu'on a cessé de trembler devant lui. Bien que rien ne soit foncièrement changé en sa doctrine ou en ses pratiques, on devine qu'un processus interne est en train de s'y développer et que monte la nouvelle classe des parvenus du régime soigneusement décrite par Milovan Djilas. La Terreur d'autrefois a été désavouée, la religion stalinienne atteinte en sa racine. Les difficultés économiques et surtout les difficultés agricoles révèlent la malfaisance d'une bureaucratie étatique bien plus parasitaire et plus incapable que le capitalisme le moins perfectionné. La brusque augmentationdes prix par décret, et en des proportions insolites, démontre enfin que les finances russes sont en piètre condition, les énormes dépenses engagées dans la fabrication des armements et la conquête de l'espace étant évi-

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