Le Contrat Social - anno VI - n. 4 - lug.-ago. 1962

L'EUROPE ET L'UNION SO.VIÉTIQ!IE par Léon E1nery IL FAUDRAIT que la querelle entre les Européens -fé~éralistes_etl~s confédératistes ne devienne point aussi oiseuse que celle des Gros Boutiens et de·s Petits Boutiens ; on ne construit pas un ensemble politique nécessairement très complexe par la vertu des dissertations juridiques, à partir de définitions abstraites. La Confédération helvétique est-elle moins réelle, moins- durable, moins consciente d'elle-même que l'Allemagne fédérale ? Si le gouvernement de Berne a moins d'importance relative que celui de Bonn, céla s'explique évidemment par la différence fondamentale entre deux pays dont l'un se tient à l'écart des grands problèmes tandis que l'autre doit les affronter avec une extrême vigilance. Les faits décident, c'est-à-dire l'histoire. Les structures visibles de l'Europe qui naît, les compléments qu'on leur peut donner dans l'immédiat, sont donc fonction de sa brève histoire, déjà si riche d'enseignements et des contingences actuelles, qu'elles défient ou non la logique. LE PÈRE putatif de l'Europe en gestation se nomme Staline. En 1945, l'idée d'une Europe occidentale constituée autour d'une alliance franco-allemande était inconcevable ou scandaleuse ; l'Occident - et plus encore l'Europe centrale - n'était d'ailleurs qu'un vaste champ de ruines dont la vie économique débile dépendait entièrement de l'aide américaine. De par les accords de Ialta, l'armée soviétique occupait Berlin, Prague et Vienne, campait à cent cinquante kilomètres de la Ruhr et aux portes de l'Italie, laquelle, ainsi que la France, était à demi conquise par de puissants partis communistes. Quiconque se hasardait à prédire raisonnablement était donc fondé à croire que, par soviétophilie naïve ou nostalgie de l'isolationnisme, les EtatsUnis allaient chercher une entente complète Bibliotec no Bianco ~vec Moscou, entente qui_ impliquerait tôt ou tard l'abandon de l'Europe, ainsi promise aux convoitises de l'ours moscovite. Heureusement Staline manqua de patience et dévoila très vite ses ambitions ; la manière dont il imposa son joug à la Pologne et à la Yougoslavie, puis à la Tchécoslovaquie et, parallèlement, la victoire des communistes en Chine, déterminèrent chez les dirigeants de Washington un sursaut de conscience dont les résultats furent décisifs. Le réalisme anglo-saxon ne s'en tient pas à des demi-mesures et n'a pas besoin de transitions. Dès qu'il parut nécessaire de dresser devant l'impérialisme communiste de solides butoirs, il ne fut plus question de ruiner ou de démanteler l'Allemagne, mais de la restaurer en la liant au sort de l'Occident. Les crédits Marshall, la création de la République fédérale, l'apparition d'Adenauer en 1949, signifièrent ce grand tournant politique. La tutelle américaine demeurant indispensable de toute manière, il fallait que l'Occident redevînt une réalité viable et consistante, dotée d'une solide infrastructure économique. Les technocrates aidant, on vi~ donc, cinq ou six ans après la fin de la guerre, émerger du chaos le pool charbon-acier. Sans doute c'était l'application classique des méthodes du grand capitalisme, qui est bien en l'état présent du monde la seule force pleinement internationale ; mais c'était aussi mise en place d'une solide base unificatrice. Il est bien clair que s'il avait fallu faire intervenir dans la genèse du trust des discussions publiques à tous les degrés rien n'aurait été possible ; le destin de l'Europe nouvelle tint peut-être au fait qu'on en put poser la première pierre, une pierre de belle taille, par un travail de coulisse qui bénéficia en tout cas de l'indifférence des foules. Quoi qu'il en soit, la .voie était tracée; dix ans ont suffi pour conduire à l'un des plus remarquables succès qu'ait enregistré l'histoire, à ce Marché commun qui exprime et fomente la prospérité retrouvée dans tout

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