CONDITION DE L'HISTORIEN SOVIÉTJQQE par Merle Fainsod «LES HISTORIENS soviétiques, déclara un jour l'un d'eux, qui avait fui son pays, préféreraient ne pas être fdes ·prostitués. C'est le système qui les fait tels. » Le système, c'est-à-dire la mainmise du Parti qui impose aux historiens les thèmes qu'ils doivent développer et détermine ce qu'ils peuvent et ne peuvent pas dire. Dès lors que le Parti est le gardien et l'interprète des lois de l'histoire, les verdicts énoncés par les dirigeants sont sacro-saints quand ces derniers se décident à parler. On attend de tous les historiens soviétiques qu'ils règlent leur conduite sur la ligne officielle et appliquent les principes du «marxisme-léninisme» aux problèmes historiques, tout en faisant preuve de cette habileté « dialectique » très spéciale grâce à quoi adapter l'histoire aux besoins changeants du Parti devient un réflexe naturel. La tâche n'est pas facile. L'historien soviétique est toujours soumis au hasard professionnel : les héros d'hier sont peut-être les scélérats de demain, et l'ouvrage épousant tous les canons de l'orthodoxie au moment de sa composition peut fort bien devenir politiquement inacceptable peu après sa publication. S'il veut faire carrière, l'historien doit apprendre à servir les puissants du jour en même temps qu'à acquérir le sens aigu du coup de barre toujours possible, dont il devra d'ailleurs mesurer les limites aussi bien que les conséquences. Les périodes de transition sont pour lui des périodes critiques : ainsi de la lutte pour la successionde Staline et de la confusion qui marqua la campagne de déstalinisation. Lorsque la trompette module un air incertain, il est fatal que certains ne sachent pas prendre le la. L'ordre rétabli et le couplet des nouveaux maîtres chanté à pleine voix, les historiens se remettent au pas. Il serait cependant injuste envers leur corporation de donner l'impression que tous les histoBiblioteca Gino Bianco riens soviétiques ne sont qu'autant de propagandistes militarisés. Comme leurs confrères étrangers, ils ont leurs impératifs moraux ou du moins leur conscience professionnelle. Lorsque l'occasion s'en présente, ils préfèrent travailler sur archives et sur l'original plutôt qu'à partir d'éléments de seconde main. Nombre d'entre eux, attirés par des sujets fort éloignés des préoccupations du moment, ont produit des travaux remarquables. D'autres ont trouvé un refuge et une espèce d'épanouissement érudit à publier des recueils de docwµents précieux, ce qui les a parfois. conduits à des interprétations en contradiction flagrante avec la doctrine officielle.Même ceux qui s'intéressent tout spécialement à l'histoire récente, où les exigences politiques sont très contraignantes, ont demandé ces dernières années à pouvoir accéder plus facilement aux matériaux d'archives et ont manifesté un intérêt grandissant pour les publications étrangères et les contacts internationaux. La publication en 1956, dans Questions d'histoire, d'une série d'articles relativement objectifs (d'ailleurs condamnés par la suite) dans le domaine ultra-sensible de l'histoire du Parti, témoigne qu'il y a eu, qu'il y a peut-être encore bien des remous sous la surface unie de l'historiographie orthodoxe; c'est la preuve que le respect de la vérité historique est plus grand que ne pourrait le laisser croire le contenu habituel des revues s~ialisées. Si, depuis 1957,les historiens semblent s être accommodés des ordres politiques venus d'en haut, ils ont à présent accès au dossier de l'histoire dans une mesure inconcevable dans les dernières années du règne de Staline. * ,,,. ,,,. POUR VOIR sous son vrai jour l'historiographie soviétique actuelle, il faut la comparer au bas niveau auquel elle était tombée sous Staline. Ce qui ne veut pas dire que tout ce qui a
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